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versation, que, par le fait seul de la distance entre les deux pays, une séparation devait, tôt ou tard, arriver nécessairement ? Il est impossible que deux nations aient longtemps un même chef, lorsqu’elles sont divisées par l’océan. En admettant que notre séparation ait été un peu prématurée, concession que je ne serais point très-disposé à faire, c’est un malheur qui ne peut que diminuer de jour en jour.

— Les séparations dans une famille sont toujours pénibles, major Littlepage ; elles le sont doublement, quand elles sont provoquées par la discorde.

— Il est vrai, mais celle-ci était inévitable, sinon actuellement, du moins dans un avenir prochain.

— Je crois, moi, dit Tom en me jetant un regard presque suppliant, que nous aurions pu obtenir ce que nous voulions tout en restant fidèles au souverain.

— Au souverain, c’est possible ; mais le parlement ? Si cette assemblée emploie son pouvoir à subordonner toujours l’intérêt américain à l’intérêt anglais ? Sans doute, on peut défendre l’autorité royale ; mais l’asservissement d’un peuple à un autre peuple trouvera-t-il aussi des défenseurs ? Toute la question est là : l’Angleterre, au moyen d’un parlement dans lequel nous ne sommes pas représentés, doit-elle nous imposer des lois ? C’est là le point capital, et non de savoir si Georges III sera notre souverain, ou si nous établirons la souveraineté du peuple.

Bayard ne répondit à ma remarque qu’en inclinant poliment la tête. Il en avait dit pourtant assez pour me convaincre qu’il y aurait peu de sympathie politique entre nous. Catherine et son amie nous rejoignirent vers la fin de la discussion, et je fus un peu chagrin de voir que ma sœur partageait les opinions de son amant avec plus de chaleur qu’il ne convenait à une Littlepage, après tout ce qui s’était passé. Mais, à ma grande surprise, miss Priscilla se montra patriote ardente, et, je dois le dire, un peu aveugle ; condamnant l’Angleterre, le roi, le parlement, avec une chaleur qui ne pouvait être égalée que par celle qu’elle mettait à défendre tous les actes, toutes les mesures, tous les principes purement américains.