Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 26, 1846.djvu/296

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle est sortie de la salle pour pleurer plus à son aise, et elle n’entendra pas ce que j’ai à vous dire. Voici Mordaunt Littlepage, qui proteste qu’il aime Ursule plus qu’il n’a jamais aimé aucune femme au monde — Frank tressaillit et sa figure se rembrunit sensiblement — et, ce qui est assez naturel quand on est bien épris, il désire vivement de l’épouser. — Le front de Frank s’éclaircit aussitôt, et voyant que ma main allait au-devant de la sienne, il la serra cordialement : — Sans doute, Mordaunt serait un excellent parti pour Ursule, car il est jeune, bien, de bonne mine ; il a de l’esprit, il a de la fortune ; toutes choses qui ne gâtent rien ; mais il a des parents qui sans doute voudraient lui voir faire un brillant mariage, et qui ne seraient pas flattés de lui voir épouser une jeune fille qui n’a pour tout avoir qu’une chaîne, une boussole, et quelques vétilles que je pourrai lui laisser. Non, non, il faut que l’honneur des Coejemans et des Malbone reste intact ; et nous ne devons pas laisser notre enfant bien-aimée entrer dans une famille qui ne se soucierait pas d’elle.

Ces réflexions ne parurent pas faire beaucoup d’impression sur Frank : il était assez généreux pour juger de moi d’après lui, et il ne pensait pas que je pusse me laisser guider par des considérations d’intérêt ; mais le porte-chaîne était entêté dans ses opinions, et je craignais qu’Ursule n’héritât des mêmes sentiments. Elle avait été la première à les exprimer à son oncle, et ils pouvaient se réveiller dans son âme, si elle venait à réfléchir au véritable état des choses, et qu’en même temps ils fussent conformes au dernier vœu d’un mourant. Il est vrai que, dans notre première entrevue, quand j’avais obtenu d’Ursule le précieux aveu de son amour, aucun obstacle de ce genre n’avait paru exister, et nous semblions regarder l’un et l’autre notre union future comme un fait certain ; mais alors Ursule, entraînée par mes protestations d’attachement, cédant aussi peut-être à la force de ses sentiments, n’avait pas eu le temps de réfléchir. Nous étions dans le délire de ravissement produit par une affection mutuelle, quand Mille-Acres était venu nous tirer violemment de ces rêves si doux pour nous jeter au milieu des scènes de violence qui nous entouraient encore. Des émotions si vives avaient pu causer une sorte d’étourdissement qui se dissiperait dans une situation