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faire valoir, et il méditait ses projets pour l’avenir. Rien, du reste, ne manifestait en lui une émotion extraordinaire ; il se possédait complètement. Prudence, au contraire, était dans une agitation excessive ; elle ne disait rien, mais on voyait qu’elle était saisie d’un tremblement nerveux ; et parfois un gémissement mal contenu s’échappait de sa poitrine oppressée.

J’avais souvent vu des blessures produites par des balles de fusil, et j’avais une expérience suffisante pour juger si elles devaient être mortelles. Dès que j’eus jeté un coup d’œil sur celle du porte-chaîne, je ne pus conserver de doute. La balle avait traversé deux côtes, de haut en bas, et les organes de la vie avaient évidemment été attaqués. Le premier effet de la blessure avait été d’ôter la connaissance à notre ami ; cependant, des que nous l’eûmes placé sur le lit et que nous lui eûmes humecté les lèvres, il revint à lui, et il ne tarda pas à pouvoir parler, mais la mort n’en tenait pas moins sa proie, et il était évident pour moi que ses heures étaient comptées.

— Merci, Mordaunt, merci de tous vos bons soins, mon ami, me dit-il. Ces squatters m’ont tué, mais je leur pardonne. Ce sont des êtres ignorants, égoïstes, grossiers, et je les ai piqués trop au vif. Comment aussi supporter de sang-froid qu’on veuille faire entrer Ursule dans une semblable famille ?

Comme Zéphane était dans la salle, bien que dans ce moment il ne fût pas auprès du lit, il me tardait de changer le cours des idées du vieillard, et je l’interrogeai sur la nature de sa blessure, sachant bien qu’il avait vu trop de soldats dans une position analogue pour ne pas savoir à quoi s’en tenir sur son état.

— Je suis tué, Mordaunt, répondit-il d’une voix plus ferme ; c’est un point hors de doute. La balle m’a traversé les côtes ; la vie a été attaquée dans son principe ; c’est une affaire faite. Mais peu importe ; j’ai fait mon temps, puisque j’ai mes soixante-dix ans. Quoiqu’on dise que les vieillards tiennent quelquefois plus encore à la vie que les jeunes gens, ce n’est pas moi, mon garçon ; et je suis tout prêt à me mettre en marche, dès que le grand mot du commandement me sera donné. Ce que je regrette, mon garçon, c’est que l’arpentage de la concession ne soit pas entièrement terminé. Du moins je n’ai été payé d’aucun travail qui ne