Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 23, 1845.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décida que la cérémonie funèbre n’aurait lieu que le jeudi suivant. Je passai presque tout cet intervalle dans mon cabinet à lire et à m’abandonner à mes réflexions. Lucie m’avait écrit deux ou trois petits billets pour me consulter sur différents points. Le dernier était pour me demander quand je voudrais rendre une dernière visite à ma sœur : ma réponse à cette question la décida à venir me trouver ; elle paraissait un peu surprise ; car elle avait peine à concevoir, elle qui n’avait voulu quitter Grace ni vivante ni morte, qu’un frère qui l’avait tant aimée ne désirât pas de lui dire un dernier adieu. Je lui expliquai mes sentiments à ce sujet, et elle en parut frappée.

— Je ne voudrais pas répondre que vous n’ayez pas raison, Miles, me dit-elle ; l’image que vous conservez dans votre cœur est trop précieuse pour que vous permettiez qu’elle reçoive la moindre atteinte. Cependant vous serez bien aise d’apprendre que Grace est un ange dans la mort comme elle l’était pendant sa vie ; tous ceux qui l’ont vue sont frappés de la sérénité paisible de sa figure.

— Merci, Lucie, merci. — Cette assurance me suffit, et c’est encore une consolation que je vous dois.

— Plusieurs membres de la famille sont ici, Miles ; ils sont venus pour la cérémonie funèbre. Un étranger vient aussi d’arriver, sans doute dans la même intention ; personne ne le connaît ; mais il demande à vous voir avec de telles instances, que mon père ne sait comment s’y prendre pour le refuser.

— Qu’il vienne, Lucie ; c’est sans doute un de ces malheureux que Grace a obligés avec tant de délicatesse ; car sa charité ne se lassait jamais.

Lucie ne semblait pas partager cette idée ; mais elle me quitta pour faire connaître ma décision. Quelques instants après, un homme d’environ cinquante ans, aux épaules carrées, aux traits un peu rudes, quoique, à tout prendre, d’assez bonne mine, entra dans le cabinet, vint droit à moi les larmes aux yeux, me serra virement la main, puis s’assit sans cérémonie. Ses vêtements annonçaient un campagnard dans l’aisance, quoique son ton, son accent, ses manières, indiquassent une personne d’une classe un peu supérieure à celle des gens au milieu desquels il vivait. Il me fallut le regarder deux fois avant de reconnaître Jacques Wallingford, le cousin de mon père, qui faisait valoir ses terres dans l’ouest.

— Je vois à votre air, cousin Miles, que vous ne me remettez qu’à