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dations qui lui étaient faites, les principes excellents qui lui étaient inculqués ; tantôt enfin c’était la jeune personne que je voyais dans tout l’éclat de sa beauté, si aimante et si digne d’être aimée. Combien de fois, pendant cette journée, le murmure d’un ruisseau ou le bourdonnement d’une abeille se confondit dans mon imagination avec la voix, le chant, le rire ou la prière de la sœur bien-aimée dont l’âme était alors au ciel, et qui ne devait plus partager ni mes soins ni mes chagrins !

Un moment j’avais eu l’intention de passer la nuit dans les champs ; à mesure que chaque étoile se montrait sur le firmament, je me disais que c’était peut-être là qu’habitait l’esprit de celle qui n’était plus. Mais tout absorbé que je fusse par l’image de Grace, je ne pouvais oublier Lucie ni le bon M. Hardinge. Ils devaient être inquiets de mon absence prolongée, et je sentis qu’il était de mon devoir de retourner près d’eux. Neb et deux ou trois autres nègres m’avaient cherché dans toutes les directions, excepté celle que j’avais prise ; et j’éprouvais un triste plaisir à voir ces esclaves dévoués se croiser dans tous les sens et échanger quelques mots en passant. Leurs gestes, leurs sanglots, leurs exclamations indiquaient assez qu’ils parlaient de leur jeune maîtresse, et je n’avais pas besoin de les entendre pour savoir de quelle manière ils en parlaient.

Notre famille avait toujours été étroitement unie. Mon père avait su conserver cet empire du cœur que sa femme avait établi avec un succès admirable, et il l’avait étendu jusqu’aux esclaves, qui prenaient part avec la même vivacité à tout ce qui arrivait d’heureux ou de malheureux à leurs maîtres. Parmi les nègres, il n’y en avait qu’un qui pût être considéré comme déchu, et qui faisait en quelque sorte bande à part. C’était un vieux drôle, nommé Vulcain, qui exerçait le métier de forgeron, ayant reçu ce nom de mon grand-père, qui le destinait à l’enclume. Par suite de son état, il avait passé la plus grande partie de sa jeunesse dans un hameau voisin où il avait contracté des habitudes tout opposées à notre genre de vie paisible et laborieuse. Il s’était isolé de plus en plus, évité par les autres nègres qui rougissaient de le voir tourner si mal, et il était devenu presque un étranger pour nous. Néanmoins, un décès, un retour de voyage, ou tout autre événement important arrivé dans la famille, ne manquait pas de le ramener parmi nous ; et pendant un mois entier, il menait alors une vie exemplaire. Dans la circonstance