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OU LE TUEUR DE DAIMS.

soupçons que les discours de Hurry lui avaient inspirés sur la légèreté de cette coquette des forêts, le charme agit sur Deerslayer, quoique l’obscurité lui fît perdre une partie de son influence. Il en résulta qu’il s’établit entre eux une sorte de confiance, et si le jeune chasseur avait commencé cette conversation avec des préventions défavorables à la jeune beauté, il la continua certainement sans y songer davantage.

— Vous êtes un homme plus porté à agir qu’à parler, Deerslayer, dit Judith en s’asseyant près de l’endroit où il était debout tenant en main l’aviron-gouvernail, et je prévois que nous serons fort bons amis : Hurry Harry à une bonne langue, et, tout géant qu’il est, il parle plus qu’il n’agit.

— March est votre ami, Judith, et des amis doivent se ménager quand ils ne sont pas ensemble.

— Tout le monde sait ce que c’est que l’amitié de March. Qu’il ait sa volonté en toute chose, et c’est le meilleur garçon de toute la colonie ; mais contrariez-le, et il est maître de tout ce qui l’approche, excepté de lui-même. Hurry n’est pas mon favori, Deerslayer, et j’ose dire que si la vérité était connue, et qu’on répétât ce qu’il dit de moi, on verrait qu’il ne pense pas mieux de moi que j’avoue ne penser de lui.

La dernière partie de ce discours ne fut pas prononcée sans quelque embarras. Si le jeune chasseur eût eu moins de simplicité naturelle, il aurait remarqué le visage détourné, la manière dont un joli petit pied était agité, et d’autres symptômes qui indiquaient que, pour quelque raison qui n’était pas expliquée, l’opinion de March n’était pas aussi indifférente à Judith qu’elle jugeait à propos de le prétendre. Que ce ne fût que l’effet ordinaire de la vanité d’une femme qui veut paraître insensible à ce qu’elle sent le plus vivement, ou que ce fût la suite de ce sentiment intime du bien et du mal, que Dieu lui-même a mis dans nos cœurs pour que nous puissions distinguer ce que la droiture permet de ce qu’elle défend, c’est ce que le lecteur verra mieux à mesure que notre histoire avancera. Deerslayer ne sut trop que lui répondre ; il n’avait pas oublié les imputations cruelles que la méfiance avait suggérées à Hurry ; et quoiqu’il fût bien loin de vouloir nuire à l’amour de son compagnon en excitant du ressentiment contre lui, sa langue ne connaissait pas le mensonge. C’était donc une tâche difficile pour lui de répondre à Judith sans dire ni plus ni moins que ce qu’il désirait.

— March parle de tout à tort et à travers, de ses amis comme de