Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 19, 1842.djvu/507

Cette page a été validée par deux contributeurs.
501
OU LE TUEUR DE DAIMS.

rongé peu à peu par l’action des eaux ; mais il aurait fallu le revoir au bout d’un siècle pour en remarquer le décroissement. Les montagnes avaient leur parure ordinaire, riche et mystérieuse, et la nappe d’eau, brillant dans la solitude, semblait une perle entourée d’émeraudes.

Le lendemain, le jeune homme trouva une des pirogues sur le rivage, assez délabrée, mais qu’un peu de travail remit en état de service. Ils s’y embarquèrent tous trois, et Chingachgook fit voir à son fils l’endroit où avait été placé le premier camp des Hurons, d’où il avait réussi à enlever Hist. Ils débarquèrent ensuite sur la pointe qui avait été le champ de bataille, et ils y virent quelques-uns des signes qui font reconnaître des localités semblables. Des animaux féroces avaient déterré plusieurs corps, et des ossements humains étaient épars çà et là sur la terre. Le jeune Uncas regarda ce spectacle avec un œil de pitié, quoique les traditions eussent déjà fait naître en son cœur l’ambition d’être un guerrier.

De cette pointe, la pirogue se dirigea vers le bas-fond sur lequel on voyait encore les restes du château, qui formaient une sorte de ruine pittoresque. Les tempêtes des hivers en avaient renversé la couverture, et la pourriture avait attaqué les troncs d’arbres qui en formaient les murailles. On n’avait touché à aucune des fermetures ; mais les saisons disposaient à leur gré de tout l’intérieur ; les palissades et les pilotis menaçaient ruine, et il était évident qu’après le retour de quelques hivers et de quelques tempêtes, le premier ouragan jetterait tous les restes de l’édifice dans le lac, et le ferait disparaître à jamais de cette magnifique solitude. Ils ne purent retrouver le banc sur lequel avaient été enterrés Hutter, sa femme et Hetty : ou les éléments en avaient dispersé les sables, ou ceux qui le cherchaient en avaient oublié la position.

L’arche fut découverte échouée sur la rive orientale, où elle avait dû être poussée longtemps auparavant par les vents du nord-ouest, qui sont les plus fréquents sur ce lac. Elle était à l’extrémité sablonneuse d’une longue pointe basse, située à environ deux milles du Susquehannah. Le scow était plein d’eau, la carie en attaquait les bois, et la cabine n’avait plus de toit. Quelques meubles massifs y restaient encore ; et le cœur de Deerslayer battit quand il trouva dans le tiroir d’une table un ruban ayant appartenu à Judith. Cette vue lui rappela la beauté et les faibles de cette jeune fille. Il n’avait jamais eu d’amour pour elle, mais il prenait encore à elle un tendre intérêt. Il prit ce ruban, et l’attacha à la crosse de Killdeer, présent qu’elle lui avait fait.