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retours, la vie du marin aux prises avec l’élément qu’il aime et qui le menace incessamment ; l’homme et la mer dans l’infinie variété de leurs rapports, voilà ce que Cooper a su rendre admirablement dans le Corsaire rouge, dans le Pilote, dans la Sorcière des Eaux, ces trois conceptions d’une poésie si forte et si réelle tout ensemble. Bien que l’invention y joue un grand rôle, et que l’imagination y déploie toutes ses richesses, le réel domine à un haut degré dans ces trois romans. C’est qu’en effet le romancier a vu ce qu’il peint, et qu’il en a été frappé et rempli de bonne heure, et que de tout ce dont il vous parle, il a su saisir le côté sympathique et puissant, et sait vous le montrer ; il agit sur vous par des paroles et des descriptions, avec toute l’énergie de la nature elle-même, de la réalité. — Vous souvient-il de Tom Coffin de la Sorcière des Eaux, de cet homme justement appelé Roi de la mer, pour qui la terre est froide et triste, et qui ne vit, ne respire, n’est véritablement homme que sur les flots ? Eh bien ! c’est peut-être Cooper lui même, non d’habitude, non comme il est aujourd’hui, mais comme il fut durant quelques années de sa jeunesse. N’est-ce pas que ce Tom Coffin vous a fait pendant plusieurs heures, pendant plusieurs jours peut-être, aimer ce qu’il aime et partager ses passions d’homme de mer ? C’est que c’est là en effet une admirable création, un type. Rassemblez les traits épars de tous ces hommes qui ont couru les mers par goût, par entraînement, vous aurez Tom Coffin. De celui-ci il a l’antipathie pour la terre ; de celui-là l’infatigable amour des voyages, de tous la passion de la mer, sa seule, sa grande passion. Tout simple et barbare qu’il soit d’ailleurs, Tom Coffin est grand, héroïque, sublime en face de la colère de l’océan ; il se plaît dans la lutte avec les abîmes soulevés ; il s’y joue avec amour, avec bonheur, avec enthousiasme. Hors de là Tom Coffin retombe ; ce n’est plus rien. Il n’a plus, comme les héros d’Homère, vingt coudées ; il redevient homme et vulgaire comme le moindre matelot de Boston ou de Rhode-Island. Pour tout dire en un mot, ce n’est plus Tom Coffin. Après la peinture de la mer et de ses accidents, c’est celle de la vie des planteurs aux prises avec l’immense nature vierge de l’Amérique septentrionale, et toutes les difficultés de leurs périlleux établissements, où excelle le plus le célèbre romancier. La fidélité en est aussi le mérite principal. Cooper a une excellente habitude, c’est de visiter les lieux où il veut placer la scène de ses romans, d’y vivre, de les étudier sous tous leurs aspects. Si c’est à une contrée de ce côté-ci de l’Atlantique qu’il veut lier sa fable, il ne lui suffit pas de l’avoir vue ; il en explore soigneusement l’histoire, les coutumes, les mœurs ; il se les assimile en quelque sorte par son travail, et ne commence à écrire qu’après s’être ainsi pourvu des matériaux nécessaires. Dernièrement encore, ce n’est qu’après un long séjour à Venise et sur tout le littoral de la vieille république, ce n’est qu’après un séjour non moins long sur les bords du Rhin, que Cooper a composé son Bravo et son Heidenmauer. Aussi la couleur locale, quoi qu’en aient dit certains critiques, y abonde-t-elle moins originale, moins nouvelle sans doute, mais