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vigateurs, et Vincent Yañez se plaça lui-même près du gouvernail pour en surveiller les mouvements avec toute la vigilance de l’expérience et de l’autorité ; les voiles basses seulement étaient établies, et elles étaient aux bas ris, autant que leur construction pouvait le permettre.

De cette manière la caravelle, battue par les flots courroucés, avançait avec effort, tantôt descendant si bas dans le creux des lames, qu’elle perdait de vue la terre, l’Océan, tout, excepté les vagues blanches d’écume et le ciel ; tantôt sortant de cette espèce de caverne profonde pour s’élever au milieu des vents déchaînés, du mugissement et du sifflement de la tempête. Ces derniers instants étaient les plus critiques. Lorsque la légère coque atteignait le sommet d’une vague, tombant alors au vent par l’affaissement de l’élément qui était au-dessous d’elle, il semblait que la première lame allait inévitablement la submerger. Et cependant telles étaient la vigilance de l’œil de Vincent Yañez et l’habileté de la main de Sancho, qu’elle échappait toujours à cet affreux désastre. Il eût été impossible d’empêcher tout à fait les lames de couvrir le petit bâtiment, aussi elles balayaient si souvent le gaillard d’avant, comme la nappe d’une cataracte, que cette partie du bâtiment avait été entièrement abandonnée par l’équipage.

— Notre salut dépend maintenant de nos voiles, dit l’amiral avec un soupir : si elles résistent, nous sommes plus en sûreté que quand nous allions vent arrière. Il me semble que le vent est un peu moins violent que pendant la nuit.

— Peut-être, Señor ; je crois que nous avançons vers l’endroit que vous m’avez montré.

— Cette pointe rocailleuse la-bas ? Si nous la doublons nous sommes sauvés ; si nous n’y réussissons pas, voici notre tombe commune.

— La caravelle se comporte noblement, et j’espère encore.

Une heure plus tard, la terre était si près qu’on pouvait voir des êtres humains s’y mouvoir. Il y a des instants ou la vie et la mort se présentent pour ainsi dire côte à côte devant les yeux du marin. Là, la destruction, ici la sécurité. Tandis que le bâtiment s’avançait lentement vers la terre, non seulement on entendait le tonnerre du ressac sur les rocs, mais les jets d’écume blanchâtre qui s’élevaient à perte de vue ajoutaient encore à l’horreur de cette scène. Dans de semblables occasions, il n’est pas extraordinaire de voir des jets d’eau de quelques centaines de