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par l’adresse ou par la force supérieure de son hôte. Plus d’une fois, les femmes de Mattinao semblèrent reprocher avec douceur à Ozéma cette manifestation de ses sentiments, mais elle leur répondait en souriant d’un air moqueur ; et dans ces instants elle paraissait à Luis, peut-être avec raison, plus belle que l’imagination ne pouvait se la représenter ; car ses joues étaient animées, ses yeux brillaient comme du jais, et les dents qui se montraient entre des lèvres semblables à des cerises ressemblaient à deux rangées d’ivoire. Nous avons dit qu’Ozéma avait les yeux noirs : ils différaient donc des yeux mélancoliques et d’un bleu foncé de Mercédès ; cependant on y découvrait une certaine ressemblance, car ils exprimaient souvent les mêmes sentiments, surtout en ce qui avait rapport à Luis. Plus d’une fois, pendant ces luttes dans lesquelles les deux amis déployaient leurs forces, le jeune Espagnol s’imagina que les transports de joie qu’il voyait briller dans les yeux d’Ozéma étaient parfaitement semblables à l’expression de profond plaisir qu’il avait si souvent remarquée dans ceux de Mercédès lorsqu’il se signalait au milieu des tournois, et il pensait alors que la ressemblance entre ces deux belles créatures était si forte, qu’à part le costume et quelques autres circonstances suffisamment frappantes, on aurait pu prendre l’une pour l’autre.

Le lecteur ne doit pas conclure de tout ceci que notre héros fût infidèle à son ancien amour ; bien au contraire, Mercédès régnait trop souverainement sur le cœur de son amant. Luis, quels que fussent ses défauts, était trop épris et trop constant, pour manquer si aisément de foi à la belle Castillane. Mais il était jeune, éloigné de celle qu’il aimait depuis si longtemps, et, s’il faut le dire, l’admiration que la jeune Indienne lui montrait d’une manière si ingénue et si séduisante ne le laissait pas tout à fait insensible. S’il eût vu partir un seul regard immodeste des yeux d’Ozéma, s’il eût remarqué dans sa conduite quelque artifice on coquetterie, il aurait pris l’alarme aussitôt, et secoué le joug d’une illusion temporaire. Mais, au contraire, tout était franc et naturel dans cette fille ingénue. Quand elle laissait apercevoir le plus l’empire qu’il avait pris sur son imagination, c’était avec une simplicité si évidente, une naïveté si involontaire, et une ingénuité qui était si évidemment le fruit de l’innocence, qu’il était impossible de la soupçonner d’artifice. En un mot, lorsqu’il cédait à une fascination qui aurait ébranlé plus sérieu-