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dans ces environs semblent disposés à vous donner des noms bien différents.

— Personne, répondit le navigateur d’un ton grave, comme s’il eût voulu avertir Luis qu’il pouvait encore se dispenser d’y prendre part s’il le jugeait à propos ; personne ne doit s’embarquer dans cette entreprise s’il n’est disposé à entrer dans toutes mes vues, s’il n’a pleine confiance en mes connaissances.

— Par saint Pédro mon patron, señor amiral, dit Luis en riant, on parle tout différemment à Palos et à Moguer ; car j’y ai entendu dire que nul homme, ayant la peau tant soit peu brûlée par le soleil de l’Océan, n’ose se montrer sur les grands chemins, de peur d’être envoyé au Cathay par une route que personne ne connaît qu’en imagination ! Il y a pourtant un volontaire qui se présente à vous librement, señor Colon, et qui est disposé à vous suivre jusqu’à l’extrémité de la terre, si elle est plate, et à en faire le tour avec vous si elle est ronde ; et ce volontaire est Pédro de Muños, qui prend part à votre entreprise, non par un amour sordide de l’or, ou de quoi que ce soit dont les hommes font ordinairement le plus de cas, mais par un esprit d’aventure, peut-être un peu excité par son amour pour la plus belle et la plus pure de toutes les filles de la Castille.

Le père Juan Pérez avait les yeux fixés sur Luis, dont l’air aisé et le ton de franchise l’étonnaient au plus haut point ; car Colomb avait réussi à lui inspirer tant de respect, que peu de personnes se permettaient de parler avec légèreté en sa présence, même avant l’époque toute récente où Isabelle lui avait conféré le titre et le rang d’amiral. Le bon prieur était bien loin de soupçonner qu’il avait devant lui, en la personne du prétendu Pédro de Muñoz, un homme dont le rang personnel était plus élevé encore, quoiqu’il ne fût investi d’aucunes fonctions officielles ; et il ne put s’empêcher de lui témoigner quelque mécontentement de la liberté de son ton et de ses manières à l’égard de personnes qu’il était habitué lui-même à respecter.

— Il me semble, señor Pédro de Muñoz, dit-il, si tel est votre nom, car le titre de duc, de marquis ou de comte, conviendrait mieux à votre manière d’agir ; — il me semble que vous traitez Son Excellence l’amiral avec autant de liberté, pour le moins, que vous traitiez tout à l’heure ce digne Martin Alonzo, notre voisin. Un homme de votre condition doit être plus modeste, et