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— Levez ! — dit l’Iroquois avec le laconisme ordinaire aux Indiens ; et sans de bien grands efforts la pirogue fut soulevée, tenue un moment en l’air pour la vider et remise sur l’eau avec soin. Tous trois continuaient à la tenir, de peur que la force du courant ne l’entraînât. L’Iroquois, qui tenait l’avant, se dirigea du côté de la rive orientale, vers l’endroit où ses amis attendaient son retour.

Comme le Delaware et Jasper sentaient qu’il devait y avoir plusieurs autres Iroquois dans le rapide, puisque leur apparition n’avait causé aucune surprise à celui qu’ils avaient rencontré, ils reconnurent la nécessité d’une extrême circonspection. Des hommes moins hardis et moins déterminés auraient cru courir un trop grand risque en se hasardant ainsi au milieu de leurs ennemis, mais ils étaient inaccessibles à la crainte et habitués au péril, et ils sentaient si bien la nécessité d’empêcher leurs ennemis de se mettre en possession de la pirogue, qu’ils se seraient exposés à des périls encore plus grands pour y réussir. Jasper surtout regardait la possession ou la destruction de cette pirogue comme si importante à la sûreté de Mabel, qu’il avait tiré son couteau pour en couper l’écorce, et la mettre ainsi hors de service pour le moment, si quelque événement forçait le Mohican et lui à abandonner leur prise.

Cependant l’Iroquois, qui était en avant, marchait lentement dans l’eau, traînant après lui la pirogue et les deux compagnons qui le suivaient fort à contre-cœur. Chingashgook leva une fois son tomahawk, et fut sur le point de briser le crâne de l’Indien qui n’avait aucun soupçon ; mais il craignit que le cri qu’il pousserait en mourant, ou la vue de son corps, qui pouvait être porté sur le rivage, ne donnât l’alarme, et il changea de résolution par prudence. Il regretta son indécision le moment d’après, car il vit arriver près d’eux quatre autres Iroquois, qui s’étaient aussi occupés à chercher la pirogue.

Après l’exclamation laconique de satisfaction qui caractérise les sauvages, ils s’empressèrent tous de s’approcher de la pirogue, car ils en sentaient l’importance tant pour aller attaquer l’ennemi, que pour assurer leur retraite. L’augmentation du nombre des Iroquois était si inattendue et leur donnait une supériorité si complète, que pour un moment l’astuce et la dextérité du Grand-Serpent lui-même furent en défaut. Les cinq Iroquois, qui semblaient parfaitement entendre leur affaire,