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l’île. Au lieu de regarder de tous côtés avec l’intention de les reconnaître, elle se borna à les compter, et trouva que trois étaient encore près du feu, tandis que deux s’étaient rendus au bateau, l’un desquels était M. Muir. Le sixième individu était son oncle, et il arrangeait tranquillement une ligue pour pêcher non loin du feu ; la femme venait d’entrer dans sa hutte ; ce qui composait toute la population. Mabel feignant alors d’avoir laissé tomber quelque chose, revint en chantant vers la hutte qu’elle avait quittée, se baissa comme pour ramasser un objet par terre, et courut à la hutte que Rosée de-Juin lui avait désignée. C’était un bâtiment en ruines, et les soldats en avaient fait une espèce de magasin pour leurs provisions de bouche. Elle contenait entre autre choses une demi-douzaine de pigeons qui se régalaient à même un tas de blé qui provenait d’une des fermes pillées sur la côte du Canada. Mabel n’eut pas beaucoup de peine à en saisir un, bien qu’ils voltigeassent dans la hutte avec un bruit semblable à celui du tambour ; elle le cacha dans sa robe et retourna à sa hutte, elle était vide ; se contentant d’y jeter un seul coup d’œil, elle courut à la côte. Échapper à toute observation n’était pas difficile, car les arbres et les broussailles la couvraient entièrement. Elle trouva Rosée-de-juin dans la pirogue, celle-ci prit le pigeon, le plaça dans un panier qu’elle avait fait elle-même, et répétant les mots — Fort être bon, — elle se glissa hors des buissons et traversa le petit détroit aussi silencieusement que la première fois. Mabel attendit quelque temps, espérant encore un signe d’adieu ou d’amitié lorsque son amie serait débarquée ; mais elle n’en reçut aucun. Les îles adjacentes étaient sans exception aussi paisibles que si le sublime repos de la nature n’eût jamais été troublé ! Et comme Mabel le pensa alors, on ne pouvait apercevoir nulle part le moindre indice, le plus léger symptôme qui dénotât la proximité de l’espèce de dangers que l’Indienne lui avait fait pressentir.

En revenant du rivage, Mabel fut cependant frappée d’une circonstance assez futile qui n’eût excité nulle attention dans une situation ordinaire, mais que son œil inquiet remarqua à présent que ses soupçons étaient éveillés. Un petit morceau de cette toile rouge qu’on emploie pour les pavillons des bâtiments se balançait à la branche intérieure d’un arbre plus élevé, où il était attaché de manière à lui permettre de flotter au gré du vent à l’instar de la girouette d’un navire.