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Mistress Abbot, — c’était son nom, — était précisément sur les confins de ce qu’on appelait « la bonne société » du village ; situation la plus difficile de toutes celles dans lesquelles puisse se trouver une femme ambitieuse et ci-devant jolie. Elle n’avait pourtant pas encore renoncé à l’espoir d’obtenir un divorce et ses suites. Elle était singulièrement dévote, et même presque à la rage. À ses propres yeux, elle était la perfection même ; à ceux de ses voisins, il n’y avait que de légères objections à faire contre elle. Au total, elle offrait en sa personne un composé assez ordinaire de piété, de médisance, de charité, de commérage, de bonté, de méchanceté, de décorum, et d’envie de se mêler des affaires des autres.

Les domestiques de mistress Abbot étaient aussi peu nombreux que sa maison était petite. Elle n’avait qu’une seule servante, jeune fille qu’elle appelait son aide, nom qui lui convenait parfaitement, car elle et sa maîtresse faisaient en commun tout l’ouvrage de la maison. Cette fille, indépendamment de ses fonctions de faire la cuisine et le blanchissage de toute la famille, était la confidente de toutes les idées errantes de sa maîtresse sur le genre humain en général, et sur ses voisins en particulier ; et elle l’aidait aussi souvent à débiter ses commentaires sur ces derniers, qu’à toute autre chose. Mistress Abbot ne connaissait la famille Effingham que par des ouï-dire qui avaient pris leur source dans sa propre école, n’étant arrivée que récemment dans ce village. Elle avait fixé sa résidence à Templeton parce qu’on pouvait y vivre à bon marché ; et ayant négligé de se conformer aux usages du monde en allant faire une visite au wigwam, suivant la coutume, elle commençait à se formaliser, du moins au fond de son cœur, de ce qu’Ève, par délicatesse, s’était abstenue d’en faire une dans une maison où, d’après toutes les idées reçues, elle avait tout lieu de supposer que sa présence n’était pas désirée. C’était donc dans cet esprit qu’elle s’entretenait avec Jenny, sa servante, le matin qui suivit la conversation rapportée dans le chapitre qui précède, dans sa petite salle au rez-de-chaussée, quelquefois travaillant à l’aiguille, plus souvent passant la tête par la fenêtre qui donnait sur la rue, afin de voir ce que pouvaient faire ses voisins.

— C’est une conduite bien extraordinaire que celle de M. Effingham relativement à la pointe, Jenny, dit-elle, mais j’espère que le peuple lui rendra l’usage de ses sens. Le public en a toujours