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logique qui me rattache à mon grand-père maternel, le titre du roi à sa couronne n’est pas plus évident que le droit que j’ai de me dire le fils de mon père ; je l’ai toujours regardé comme l’étant de jure comme de facto, et j’aurais pu l’aimer et l’honorer en cette qualité, si mon affection naturelle avait trouvé en lui des entrailles plus paternelles.

Malgré les peu de rapports qui avaient eu lieu entre nous pendant toute ma vie, cette entrevue ne se passa pourtant pas sans quelque manifestation de sensibilité.

— Te voilà enfin, John, me dit mon père, je craignais que tu n’arrivasses trop tard.

Sa respiration difficile, son teint livide et sa voix cassée, me frappèrent de consternation. C’était la première fois que je me trouvais près d’un lit de mort, et le tableau du temps tombant dans l’éternité se grava dans ma mémoire en traits ineffaçables. Ce n’était pas seulement une scène de mort, c’était le lit de mort de mon père.

— Te voilà enfin, John, répéta-t-il, j’en suis charmé. Tu es à présent le seul être à qui je prenne intérêt. Peut-être aurait-il mieux valu que je vécusse davantage avec mes semblables, mais tu y gagneras. — Ah ! John ! nous ne sommes que de misérables mortels après tout ! — Être appelé si soudainement et si jeune ! —

Mon père était dans sa soixante-seizième année, mais il ne croyait pas encore avoir réglé son compte avec ce monde, quoiqu’il eût donné au médecin sa dernière guinée, et qu’il eût congédié le ministre en lui donnant pour les pauvres de la paroisse une somme qui aurait rendu un mendiant joyeux pour toute sa vie.

— Te voilà enfin ! répéta-t-il encore, en bien ! la perte que je fais sera un gain pour toi, mon garçon. — Fais sortir la garde de cette chambre.

Je fis ce qu’il désirait, et nous restâmes tête à tête.

— Prends cette clef, me dit-il en m’en donnant une qu’il prit sous son oreiller ; ouvre le tiroir d’en haut de mon secrétaire, et donne-moi un paquet à ton adresse, que tu y trouveras. —

J’obéis en silence. Mon père prit le paquet, le regarda avec un air de mélancolie que je ne saurais décrire, car il ne semblait avoir un caractère ni mondain ni spirituel, et c’était plutôt un singulier mélange de pensées ayant rapport à ce monde et à