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avec l’insensibilité cruelle de son fils, que ce tableau glaçait leur sang. Chacun d’eux pensait intérieurement qu’on serait forcé de mettre cet enfant dénaturé en liberté ; car jusqu’alors on n’avait jamais conduit le fils d’un prince à l’échafaud, à moins que ce ne fût pour un crime politique. Beaucoup de belles maximes ont été débitées sur la nécessité d’une impartialité rigide dans l’administration des affaires de la vie, mais personne n’est arrivé jusqu’à l’âge mûr sans reconnaître qu’en toute chose la pratique diffère de la théorie ; et sans prévoir l’impunité de Maso, on attaquerait avec trop de violence un édifice déjà tremblant, si l’on savait que le fils d’un prince ne vaut pas mieux que celui d’un vilain.

L’embarras et le doute furent heureusement fixés, et d’une manière inattendue, par l’entremise de Balthazar. Jusqu’à ce moment, le bourreau avait écouté en silence tout ce qui s’était passé ; mais alors il s’avança dans le cercle, et, regardant l’auditoire avec son calme habituel, il parla avec l’assurance que la certitude d’avoir quelque chose d’important à communiquer donne au plus humble en la présence de ceux qu’il est habitué à respecter.

— Ce que vient de raconter Maso, dit-il, soulève un nuage qui depuis près de trente ans était devant mes yeux. Est-il vrai, illustre doge, car il paraît que tel est votre titre, qu’un fils de votre noble maison ait été enlevé à vos affections par la vengeance d’un rival ?

— Hélas cela n’est que trop vrai ! Ah ! pourquoi le ciel ne l’a-t-il pas rappelé à lui en même temps que sa mère ; il lui eût épargné bien des crimes !

— Pardonnez-moi, grand prince, si je vous presse de questions dans un moment aussi pénible, mais c’est dans votre intérêt. Souffrez que je vous demande dans quelle année ce malheur est arrivé à votre famille ?

Le signor Grimaldi fit signe à son ami de se charger de répondre, tandis qu’il cachait son vénérable visage afin de dérober sa douleur aux regards curieux. Melchior de Willading regarda le bourreau d’un air surpris, et pendant un instant il eut l’air disposé à repousser une question qui lui était importune ; mais le regard suppliant de Balthazar et son maintien décent triomphèrent de sa répugnance à continuer ce sujet.

— L’enfant fut enlevé dans l’automne de l’année 1693, répon-