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pêche miraculeuse, avait remporté le prix d’or, tandis qu’un marin qui cachait son nom, mais qui s’était confié à la protection de saint Jean du désert, avait gagné lie prix d’argent ; enfin, que le troisième appartenait à Gino de Calabre, serviteur de l’illustre don Camillo de Monforte, duc de Sainte-Agathe et seigneur de plusieurs domaines dans le royaume de Naples.

Lorsque les vainqueurs furent ainsi solennellement proclamés, un profond silence eut lieu ; puis il s’éleva un bruit général parmi cette masse vivante, qui célébra le nom d’Antonio comme elle eût célébré les succès d’un conquérant. Tout sentiment de mépris disparaissait sous l’influence de son triomphe. Les pêcheurs des lagunes, qui venaient d’accabler de leurs dédains leur vieux compagnon, chantaient sa gloire avec un enthousiasme qui manifestait la rapide transition de l’outrage à la louange ; et, comme cela a toujours été et sera toujours la récompense du succès, celui qu’on jugeait devoir le moins réussir fut d’autant plus comblé de félicitations flatteuses, lorsqu’on vit qu’il avait trompé l’opinion qu’on s’était formée de lui, Des milliers de voix proclamèrent son adresse et sa victoire ; les jeunes, les vieux, les belles, les élégants, les nobles, les parieurs qui perdaient comme ceux qui gagnaient, se montraient également curieux de voir le pauvre vieillard, qui avait d’une manière si inattendue opéré ce changement dans les sentiments de la multitude.

Antonio jouit de son triomphe avec modestie. Lorsque sa gondole eut atteint le but, il l’arrêta, et, sans montrer aucun signe de fatigue, il resta debout, quoique l’agitation de sa brune et large poitrine prouvât qu’il avait usé de toute sa force. Il sourit aux cris qui s’élevaient de tous côtés, car la louange est douce même aux humbles : néanmoins il semblait oppressé par une émotion plus profonde que celle de l’orgueil. L’âge avait un peu obscurci sa vue, mais dans ce moment ses regards brillaient d’espérance, ses traits s’animaient, et une seule larme brûlante étant tombée sur chacune de ses joues, le pêcheur respira plus librement.

L’inconnu masqué ne paraissait pas plus épuisé que son heureux concurrent ; ses genoux n’avaient aucun tremblement, il tenait toujours l’aviron d’une main ferme, et il avançait le pied droit de manière à montrer toute la perfection de sa taille. Mais Gino et Bartolomeo se laissèrent tomber chacun dans sa gondole après avoir atteint le but, et ces deux, gondoliers célèbres étaient