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dans certaines occasions, que les esclaves, et que la bassesse et l’insolence prennent ordinairement leur source dans le même cœur. Le mouvement qui se fit parmi les bateaux amena le personnage masqué et Antonio l’un à côté de l’autre.

— Tu n’es pas le favori des spectateurs, observa le premier, lorsqu’un nouveau feu roulant de plaisanteries vint accabler la victime résignée. Tu n’as pas été assez soigneux de ta toilette. Nous sommes dans une ville où le luxe est en honneur, et celui qui désire obtenir des applaudissements doit paraître sur les canaux avec l’air d’un homme moins accablé par la fortune.

— Je les connais, je les connais, répondit le pêcheur. Ils sont conduits par leur orgueil, et ils pensent mal de celui qui ne peut partager leurs vanités. Mais, l’ami inconnu, j’ai apporté ici un visage qui, quoique vieux, ridé et halé par le soleil comme les pierres du rivage, peut être vu sans m’inspirer de honte.

— Il peut exister des raisons que vous ne connaissez pas et qui exigent que je porte un masque. Mais si mon visage est caché, mes membres sont nus ; et, comme tu peux le voir, je ne manque pas de force pour réussir à ce que j’ai entrepris. Tu aurais dû réfléchir avant de t’exposer à une semblable mortification. La défaite ne rendra pas la multitude plus polie envers toi.

— Si mes membres sont vieux et raidis par l’âge, Signore, ils sont depuis longtemps habitués au travail. Quant à l’humiliation, si c’en est une que d’être plus pauvre que les autres, je ne l’éprouve pas pour la première fois. Un grand chagrin m’accable, et cette course peut en alléger le fardeau. Je ne prétends pas dire que j’entends ces éclats de rire et ces discours moqueurs comme on écoute la brise du soir dans les lagunes : car un homme est toujours un homme, quoiqu’il vive parmi les plus humbles et mange les mets les plus grossiers. Mais n’importe ; saint Antoine me donnera le courage de le supporter.

— Tu as une âme forte, pêcheur, et je prierais de bon cœur mon patron de s’accorder un bras qui lui ressemble. Serais-tu content du second prix, si par adresse je t’aidais dans tes efforts ? car je suppose que le métal du troisième est aussi peu de ton goût que du mien.

— Je ne compte ni sur l’or, ni sur l’argent.

— L’honneur d’une telle lutte a-t-il pu éveiller l’orgueil d’un homme comme toi ?