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lie avec cette paix dont le Monde a besoin. Mais que leur importe ? Leur but est de rédiger des phrases suivant la direction du jour. Du fond de leur cabinet obscur, ils vantent, tantôt la démagogie, tantôt le despotisme, tantôt le carnage, lançant, pour autant qu’il est en eux, tous les fléaux sur l’humanité, et prêchant le mal, faute de pouvoir le faire.

Je me suis demandé quelquefois ce que répondroit l’un de ces hommes qui veulent renouveler Cambyse, Alexandre ou Attila, si son peuple prenoit la parole, et s’il lui disoit : La nature vous a donné un coup d’œil rapide, une activité infatigable, un besoin dévorant d’émotions fortes, une soif inextinguible de braver le danger pour le surmonter, et de rencontrer des obstacles pour les vaincre. Mais est-ce à nous à payer le prix de ces facultés ? n’éxistons-nous, que pour qu’à nos dépens elles soient exercées ? Ne sommes-nous là, que pour vous frayer de nos corps expirans une route vers la renommée ! Vous avez le génie des combats : que nous fait votre génie ? Vous vous ennuyez dans le désœuvrement de la paix : que nous importe votre ennui ? Le léopard aussi, si on le transportoit dans nos cités populeuses, pourroit se plaindre de n’y pas trouver ces forêts épaisses, ces plaines immenses, où il se délectoit à poursuivre, à saisir et à dévorer sa proie, où sa