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Bien loin de là. Telle est à présent la répugnance pour les conquêtes, que chacun êprouveroit l’impérieux besoin de s’en disculper. Il y auroit une protestation universelle, qui n’en seroit pas moins énergique pour être muette. Le gouvernement verroit la masse de ses sujets se tenir à l’écart, morne spectatrice. On n’entendroit dans tout l’empire qu’un long monologue du pouvoir. Tout au plus ce monologue seroit-il dialogué de temps en temps, parce que des interlocuteurs serviles répêteroient au maître les discours qu’il aurait dictés. Mais les gouvernés cesseroient de prêter l’oreille à de fastidieuses harangues, qu’il ne leur seroit jamais permis d’interrompre. Ils détourneroient leurs regards d’un vain étalage dont ils ne supporteraient que les frais et les périls, et dont l’intention seroit contraire à leur vœu.

L’on s’étonne de ce que les entreprises les plus merveilleuses ne produisent de nos jours aucune sensation. C’est que le bon sens des peuples les avertit que ce n’est point pour eux que l’on fait ces choses. Comme les chefs y trouvent seuls du plaisir, on les charge seuls de la récompense. L’intérêt aux victoires se concentre dans l’autorité et ses créatures. Une barrière morale s’élève entre le pouvoir agité et la foule immobile. Le succès n’est qu’un météore qui ne vivifie rien sur son passage. A