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d’aborder, pour ainsi dire, son côté souterrain. J’avais même prononcé le mot. Et il m’avait toujours opposé son calme impénétrable.

— Du même coup, poursuivit M. X…, vous prendrez une notion des difficultés qui peuvent surgir dans ce que vous vous plaisez à appeler les besognes souterraines. Difficultés souvent délicates à surmonter. Comprenez bien qu’il n’y a pas de hiérarchie, parmi les affiliés, pas de synthèse rigide.

Ma surprise fut vive mais de courte durée. Évidemment, chez les anarchistes, il ne saurait y avoir de hiérarchie, rien qui rappelle une loi de préséance. L’idée de l’anarchie régnant chez les anarchistes est d’ailleurs consolante. Elle ne saurait guère contribuer à l’efficacité de la doctrine.

M. X… me fit tressaillir, en me demandant, brusquement : — Vous connaissez Hermione Street ?

J’acquiesçai d’un ton dubitatif. Cette rue a été, au cours des trois dernières années, transformée au point de devenir méconnaissable. Son nom persiste, mais de l’ancienne Hermione Street, il ne subsiste pas une brique ou une pierre. C’est de la vieille rue qu’il parlait, car il dit :

— Il y avait une rangée de maisons en briques à deux étages, adossées à l’aile d’un grand bâtiment public, si vous vous souvenez. Serez-vous fort surpris d’apprendre qu’une de ces maisons fut, à certaine époque, le centre de la propagande anarchiste et de ce que vous appelleriez l’action souterraine ?

— Pas du tout, affirmai-je, car je me souvenais que cette voie n’avait jamais été très bien famée.

— La maison appartenait à un fonctionnaire d’État distingué, poursuivit-il, en buvant une gorgée de Champagne.

— Vraiment ? fis-je, sans croire un mot de ce qu’il disait.