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XI


— Gaspar Ruiz respirait pourtant encore. Je le fis porter, dans son poncho, à l’abri d’un fourré, sur la crête même d’où il avait, si fixement, regardé le fort, tandis que l’invisible mort planait déjà sur sa tête.

Nos troupes bivouaquaient autour du fort. Au point du jour, je ne fus pas surpris d’apprendre que j’étais désigné pour commander une escorte, et emmener sans tarder une prisonnière à Santiago. Naturellement, c’était la femme de Gaspar Ruiz.

— « Je vous ai désigné par égard pour vos sentiments, me déclara le général Robles. Mais à vrai dire, cette femme-là mériterait d’être fusillée pour tout le mal qu’elle a fait à la République. »

Et, devant mon mouvement de protestation indignée, il poursuivit :

— « Maintenant que le voilà mort, ou tout comme, cela n’a plus d’importance. Personne ne va savoir que faire d’elle. Mais le Gouvernement la réclame. » Il haussa les épaules. « Je suppose que Ruiz a enfoui de gros amas de ses rapines dans des endroits connus d’elle seule. »

À l’aube, je vis la jeune femme gravir la crête entre deux soldats avec son enfant dans les bras.