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temps pour moi, alors, de me mettre à votre tête, pour l’assaut. Maintenant, soulevez-moi ; et toi, Jorge, dépêche-toi de viser ! »

Le vacarme des coups de feu tirés du fort étouffait presque sa voix. La palissade était couronnée de fumée et de flammes.

— « Tendez toutes vos forces contre le recul, mi amo, fit le vieil artilleur en chevrotant ; enfoncez vos doigts dans la terre… Là, maintenant… ! »

Un cri d’enthousiasme lui échappa après le coup. Le trompette leva son instrument à ses lèvres attendant l’ordre. Mais nul ordre ne sortait de la bouche de l’homme prostré. Je tombai sur un genou, et entendis ce qui lui restait à dire : — « Quelque chose de brisé », souffla-t-il, en levant un peu la tête, et en tournant les yeux vers moi, sans rien changer à son attitude d’irrémédiable écrasement.

— « La porte ne tient plus que par des échardes », cria Jorge.

Gaspar Ruiz voulut parler, mais sa voix mourut dans sa gorge, et j’aidai à décharger son dos brisé ; il était insensible.

Je gardai naturellement les lèvres closes. Le signal de l’attaque ne fut point lancé aux Indiens, et à sa place éclata, terrifiant pour nos ennemis comme l’appel du jugement dernier, l’écho des clairons des forces de secours, que mes oreilles attendaient depuis si longtemps.

Une tornade, Señores, un véritable ouragan d’hommes en déroute, de chevaux affolés, d’Indiens montés passa sur moi ; je me tapis sur le sol, à côté de Gaspar Ruiz, toujours allongé sur le ventre, les bras en croix. Dans sa fuite éperdue, Peneleo me visa au passage, avec son long chuso, en manière d’amical adieu, sans doute. Comment j’échappai à la grêle des balles, c’est plus difficile à comprendre. Je m’aventurai trop vite à me