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baissez-vous un peu, en pliant les coudes et je vais… »

Il bondit de côté, et abaissa sa flamme ; un jet de feu sortit par la gueulé du canon fixé au dos de l’homme.

Alors Gaspar Ruiz se laissa aller tout de son long :

— « Bon coup ? » demanda-t-il.

— « En plein but, Señor. »

— « Eh bien, alors, recharge ! »

Je le voyais allongé devant moi, sur le ventre, écrasé par le bronze, faix sombre et monstrueux tel qu’amour ou force d’homme n’avait jamais rêvé d’en porter, dans l’histoire lamentable du monde. Ses bras étaient écartés, et il faisait, sur le sol baigné de lune, figure de pénitent prostré.

Une seconde fois, je le vis se soulever sur les mains et les genoux, tandis que le vieux Jorge se penchait, l’œil au long du tube.

— « A gauche un peu… A droite d’une ligne… Por Dios, Señor, cessez de trembler ! Où est donc votre force ? »

La voix du vieux canonnier se brisait d’émotion. Il fit un pas de côté, et prompt comme l’éclair approcha le boute-feu de l’amorce.

— « Parfait ! » cria-t-il, d’une voix mouillée ! mais Gaspar Ruiz resta longtemps aplati sur le sol.

— « Je suis fatigué, murmura-t-il enfin. Est-ce qu’il suffira d’un troisième coup ? »

— « Sans aucun doute », fit le vieux Jorge, en se penchant vers son oreille.

— « Alors charge ! lui entendis-je ordonner d’une voix distincte. Trompette ! »

— « Présent, Señor, j’attends votre ordre. »

— « Tâche, quand tu le recevras, de lancer un appel qui se fasse entendre d’un bout à l’autre du Chili, fit-il d’une voix extraordinairement forte. Et tenez-vous prêts, vous autres, à couper cette maudite riata, car il sera