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balles qui labouraient le sol, le groupe se déployait, se reformait, s’agitait, en me laissant apercevoir, au centre, une silhouette accroupie. Je m’approchai, doutant de mes yeux qui me révélaient une vision d’enfer, un rêve suggestif et insensé.

Une voix étrangement étouffée commanda : — « Serrez un peu plus les nœuds. »

— « Si Señor », répondirent vivement plusieurs voix terrifiées.

La voix étouffée reprit : — « Comme cela. Il faut que je puisse respirer. »

Plusieurs hommes s’écrièrent avec un accent d’inquiétude : — « Soulagez-le, hombres. Voyons ! Sous l’autre bras. »

Puis la voix assourdie commanda : — « Bueno ; reculez-vous, les enfants. »

Je me frayai un chemin à travers les hommes qui s’écartaient, et j’entendis à nouveau la voix oppressée commander avec anxiété : — « Oublie que je suis vivant, Jorge. Oublie-moi tout à fait, et pense à ce que tu dois faire. »

— « Soyez sans crainte, Señor. Vous n’êtes qu’un affût de canon, en ce moment, et je ne perdrai pas mon coup. »

J’entendis le crépitement d’une mèche, et sentis une odeur de salpêtre. Je vis tout à coup devant moi une masse informe, arc-boutée sur les pieds et les mains, comme une bête, avec une tête d’homme qui pendait sous un tube projeté en avant de la nuque ; une masse sombre de bronze luisait sur son dos.

La chose s’accroupissait, toute seule, en avant d’un demi-cercle d’hommes ; Jorge se tenait derrière, avec, à son côté, un trompette immobile, l’instrument sur la hanche.

Jorge plié en deux murmurait, l’amorce aux doigts : — « Un pouce à gauche, Señor. C’est trop. Là. Maintenant,