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grand’chose pour lui, mais il lui envoya en retour deux pièces légères de campagne, une lettre de félicitations, avec un brevet de colonel de l’armée royale et un grand drapeau espagnol. Cet étendard fut hissé en grande pompe au-dessus de sa demeure au cœur du pays Arauco. Sûrement, ce jour-là, la jeune royaliste dut sourire avec moins de hautaine réserve à son guaso de mari.

L’officier commandant l’escadrille anglaise de notre côte avait fait à notre gouvernement des représentations au sujet de ces captures. Gaspar Ruiz refusa de traiter avec nous. Sur quoi une frégate britannique aborda dans la baie, et le capitaine, le médecin et deux lieutenants débarquèrent sous sauf-conduit. Ils furent bien accueillis et passèrent trois jours chez le chef de partisans. Une sorte de discipline barbare régnait à la résidence, qui était garnie des dépouilles des villes frontières. Quand les officiers furent introduits dans la grande salle, ils virent la jeune femme étendue, (elle n’était pas en bonne santé à ce moment) avec Gaspar Ruiz à son chevet. Le chapeau de l’hercule gisait à ses pieds, sur le sol, et ses mains reposaient sur la garde de son épée.

Pendant cette première entrevue, il ne bougea qu’une fois ses grosses mains pour arranger les couvertures de la jeune femme avec des gestes d’attentive douceur. Les officiers remarquèrent que, chaque fois qu’elle parlait, Ruiz fixait les yeux sur elle avec une attention fervente et suspendue, comme s’il eût oublié l’existence du monde et la sienne propre. Au cours du banquet d’adieu où elle assistait, couchée sur un divan, il se plaignit amèrement des procédés dont il avait été victime. Entouré d’espions, après le départ du général San Martin, calomnié par les fonctionnaires civils, ses services méprisés, sa liberté et sa vie même avaient été menacées par le gouvernement chilien. Il se leva de