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officier d’avoir épousé publiquement et en grande pompe une femme de tendances royalistes. Des querelles devaient forcément éclater entre ces deux hommes de caractères si différents. A la fin le gouverneur civil se plaignit de l’inactivité de Ruiz, et parla de trahison, ce qui n’avait pas lieu de surprendre, écrivait-il, chez un homme à pareils antécédents. Gaspar Ruiz eut vent de cette lettre. Sa fureur s’alluma, et la femme qui ne le quittait jamais sut trouver des paroles perfides pour entretenir sa rage. Je ne sais si le Gouvernement Suprême envoya jamais — comme Ruiz s’en plaignit plus tard — des ordres pour l’arrêter. Il paraît au moins certain que le Gouverneur civil se mit à intriguer auprès de ses officiers, et que Gaspar Ruiz s’en aperçut.

Un soir que le Gouverneur donnait une tertulia, Gaspar Ruiz, suivi de six hommes de confiance, se présenta à cheval à la porte du palais du Gouvernement et pénétra dans la sala armé, le chapeau sur la tête. Comme le Gouverneur, furieux, s’avançait vers lui, il saisit le malheureux par la taille, l’enleva, comme si ç’eût été un enfant, au milieu des invités terrifiés, et le jeta dans la rue du haut du perron. Une étreinte rude de Gaspar Ruiz eût suffi à arracher la vie à un géant ; mais pour l’achever, les cavaliers de Ruiz déchargèrent leurs pistolets dans le corps du Gouverneur, inerte au pied des marches.

Après cet acte de justice, comme il l’appelait, Ruiz traversa le Rio Blanco, suivi par la majeure partie de sa bande, et se retrancha sur une colline. Une compagnie de troupes régulières, envoyée follement contre lui, fut cernée et presque anéantie jusqu’au dernier homme. D’autres expéditions, bien que mieux organisées, n’eurent pas plus de succès.