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IX


Avec des gestes d’une précision mécanique et un air d’abstraction, le vieux général Santierra allumait un long et gros cigare.

— Il nous fallut plusieurs heures pour pouvoir envoyer un détachement au ravin, dit-il à ses hôtes. Nous avions trouvé un tiers des maisons écroulées, les autres ébranlées, et les habitants, riches ou pauvres, réduits à un égal état de démence par l’universel désastre. La gaieté simple des uns contrastait avec le désespoir des autres. Dans la confusion générale, nombre de bandits éhontés étaient devenus, sans crainte, des dieux ou des hommes, un danger pour ceux qui avaient pu soustraire quelques objets de valeur à la ruine de leurs foyers. Ces misérables, qui criaient plus fort que les autres « Misericordia ! », à chaque secousse, et se frappaient la poitrine d’une main, dépouillaient de l’autre les pauvres victimes, et ne reculaient même pas devant le meurtre.

La division du général Robles était tout entière occupée à protéger les quartiers détruits de la ville contre les déprédations de ces monstres inhumains. Absorbé par mes fonctions d’officier d’ordonnance, je ne pus, avant le matin, m’assurer du salut de ma propre famille. Ma mère et mes sœurs avaient pu s’échapper de la salle de bal où je les avais laissées dans