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VI


— Je connaissais ces gens-là de vue, disait en dînant le général Santierra à ses hôtes, je veux dire les gens chez qui Gaspar Ruiz trouva un refuge. Le père était un vieil Espagnol, propriétaire ruiné par la révolution. Domaines, maison de ville, argent, tout ce qu’il possédait ici-bas avait été confisqué par proclamation, car c’était un ennemi féroce de notre indépendance. D’une haute situation de dignité et d’influence au Conseil du Vice-Roi, il était tombé à une importance moindre que celle de ses esclaves, nègres libérés par notre glorieuse révolution. Il n’avait même pas les moyens de fuir le pays, comme l’avaient fait d’autres Espagnols. Peut-être, ruiné, sans foyer et sans autre fardeau que celui de la vie, que lui avait laissée la clémence du Gouvernement Provisoire, était-il simplement entré un beau jour sous ce toit crevé de vieilles tuiles. C’était un endroit désert, sans un chien aux environs. Mais si le toit avait des trous, les volets de bois étaient épais et toujours hermétiquement clos.

Je passais souvent au pied de ce rancho misérable. J’allais presque tous les soirs du fort à la ville, pour soupirer sous la fenêtre d’une dame que j’aimais. Quand on est jeune, vous comprenez… C’était une bonne patriote,