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une compréhension d’homme. Une extraordinaire liberté d’esprit surprit le général et lui donna même une grande aisance d’attitudes. Il marchait à travers la pièce avec autant de plaisir qu’il en aurait trouvé à marcher contre une batterie vomissant mort, flamme et fumée ; puis s’arrêtant avec des yeux souriants devant la jeune fille dont l’union avec lui avait été si habilement arrangée par la sage, la bonne, l’admirable Léonie :

— Ah ! mademoiselle ! fît-il sur un ton de regret courtois, si seulement je pouvais croire que vous n’ayez pas fait ce matin une demi-lieue en courant, par simple affection pour madame votre mère !

Imperturbable dans son exaltation secrète, il attendait une réponse qui vint dans un murmure, en une attitude ensorcelante de modestie et de paupières baissées.

— Il ne faut pas être aussi méchant que fou !

Sur quoi le général déclencha vers le divan une offensive que rien n’aurait pu contenir. Le meuble n’était pas exactement en vue de la porte ouverte. Pourtant, madame Léonie qui revenait enveloppée d’un léger manteau et portait sur son bras une écharpe de dentelle destinée à cacher la compromettante chevelure d’Adèle, eut une vision furtive d’un frère à genoux qui se relevait brusquement.

Allons, venez, ma chère enfant, cria-t-elle de la porte.

Le général, pleinement revenu à lui-même, montra l’ingénieuse promptitude d’esprit d’un officier de cavalerie et l’autorité d’un meneur d’hommes :

— Tu ne penses pas qu’elle va descendre toute seule à la voiture, cria-t-il, avec indignation. Elle n’est pas en état de le faire. Je vais la porter.

Suivi par sa sœur respectueuse et stupéfaite, il la porta doucement dans ses bras, puis remonta comme un tourbillon pour effacer de son visage toutes les traces d’une nuit d’angoisse et d’un matin de combat ; il endossa