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Féraud gonfla ses poumons pour lancer à ses témoins un appel de stentor, mais il se retint un instant, obéissant à ce qu’il prenait pour un excès de scrupule.

— Je vais aller voir s’il vit encore, grommela-t-il en abandonnant sans crainte le couvert, de son arbre. Ce mouvement fut immédiatement décelé par l’ingénieux d’Hubert. Il crut à un nouveau bond, mais ne voyant pas les bottes dans le champ du miroir, il conçut quelque inquiétude. Féraud s’était seulement un peu écarté de sa ligne de visée, et d’Hubert ne pouvait se représenter qu’il vînt à lui avec une insouciance parfaite. Il commençait à se demander ce qu’était devenu son adversaire, et fut pris tout à fait à l’improviste : le premier signal d’un danger fut pour lui l’apparition de l’ombre de son ennemi qui tombait allongée par l’obliquité du soleil matinal, sur ses jambes étendues. Il n’avait pas entendu le moindre bruit de pas sur la terre meuble entre les arbres.

C’en était trop pour son sang-froid. Il bondit brusquement, abandonnant ses pistolets sur le sol. L’instinct irrésistible d’un homme ordinaire (à moins qu’il ne fût paralysé par la terreur) eût été de se baisser pour ramasser ses armes, au risque de se faire fusiller dans cette position. L’instinct est irréfléchi, bien entendu ; c’est sa définition même. Mais il vaudrait la peine de rechercher si, dans une humanité pensante, les impulsions machinales de l’instinct ne sont pas affectées par le mode ordinaire de la pensée. Dans sa jeunesse, Armand d’Hubert, officier sérieux et d’avenir, avait exprimé l’opinion qu’à la guerre il ne faut jamais se retrancher derrière une faute. Cette idée, développée et défendue en maintes discussions, s’était implantée dans son cerveau comme une notion fondamentale, pour devenir partie de son individualité. Qu’elle l’eût assez profondément imprégné pour affecter les réflexes de son instinct ou qu’il fût simplement « trop stupéfait