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IV


Aucun de nous ne réussit dans toutes ses entreprises, et notre existence à tous comporte quelque faillite ; l’essentiel, c’est de ne pas flancher au moment d’une tentative, et de soutenir jusqu’au bout l’effort de notre vie. D’ordinaire, c’est la vanité qui nous égare et nous lance dans les aventures d’où nous ne pouvons sortir indemnes. L’orgueil, au contraire, est notre sauvegarde, par la réserve qu’il impose au choix de nos tentatives, autant que par la force qu’il nous assure.

Le général d’Hubert était fier et réservé. Il s’était toujours tiré sans dommage d’amours passagères, heureuses ou non. Dans son corps, couvert de cicatrices guerrières, son cœur de quarante ans restait intact. Entré avec circonspection dans les projets matrimoniaux de sa sœur, il s’était irrémédiablement jeté dans l’amour, comme on tombe d’un toit. Il était trop fier pour être épouvanté, et la sensation était trop délicieuse pour être alarmante.

L’inexpérience de la quarantaine est bien plus grave que celle de la vingtième année, parce qu’elle n’est pas compensée par l’ardeur d’un sang chaud. La jeune fille était mystérieuse, comme le sont les jeunes filles, par le seul effet de leur réserve ingénue, mais le mystère de