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et propriété particulière de sa génération. Il se sentit une tendresse irraisonnée pour son éternel adversaire et chérit dans son cœur l’absurdité meurtrière que leur discorde avait imposée à sa vie. C’était comme une pincée d’épices dans un plat chaud, dont il évoquait le parfum avec une mélancolie soudaine. Il ne retrouverait jamais tout cela ; c’était fini ! — Je crois que c’est d’être resté tout de son long dans le jardin qui l’avait si fort exaspéré contre moi, songeait-il avec indulgence.

Les deux étrangers de la table voisine s’étaient tus, après avoir, pour la troisième fois, prononcé le nom de Féraud. Tout à coup, le plus âgé des deux, reprenant la parole avec un accent d’amertume, affirma que le compte du général était réglé. Et pourquoi ? Simplement parce qu’il n’était pas un de ces grands personnages qui n’aimaient qu’eux-mêmes. Les royalistes savaient bien qu’il n’y avait rien à en tirer. Il aimait trop l’Autre.

L’Autre, c’était l’homme de Sainte-Hélène. Les deux officiers hochèrent la tête et trinquèrent avant de boire à un impossible retour. Alors, celui qui venait déjà de parler, ajouta, avec un rire sardonique :

— Son adversaire s’est montré plus habile !

— Quel adversaire ? demanda le plus jeune, d’un air intrigué.

— Vous ne savez pas ? Ils étaient hussards tous les deux. A chacune de leurs promotions, ils se sont battus. Vous n’avez pas entendu parler de ce duel, poursuivi depuis 1801 ?

L’autre connaissait naturellement l’histoire et comprenait maintenant l’allusion. Le général baron d’Hubert allait pouvoir vivre en paix de la faveur de son gros roi.

— Grand bien lui fasse ! grommela le vieux. C’étaient deux braves. Je ne connais pas ce d’Hubert, une espèce