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soir et faisait brûler des cierges dans les églises pour le salut et la prospérité de son frère.

Elle eut tout lieu de croire que ses prières avaient été entendues. Le colonel d’Hubert passa par Lutzen, Bautzen, et Leipzig sans une égratignure et y acquit une réputation nouvelle. Adaptant sa conduite aux nécessités de cette période désespérée, il n’avait jamais soufflé mot à quiconque de ses appréhensions. Il les dissimulait sous la courtoisie enjouée d’un caractère si aimable que ses interlocuteurs étaient tentés de se demander si le colonel d’Hubert saisissait bien toute la portée des désastres. Ses regards, pas plus que son attitude ne témoignaient d’aucun trouble. La calme aménité de ses yeux bleus déconcertait tous les mécontents et faisait hésiter le désespoir même.

Ce calme fut remarqué avec faveur par l’Empereur en personne, car le colonel d’Hubert, maintenant attaché à la personne du Major Général, eut plusieurs fois l’honneur d’attirer le regard impérial. Mais il exaspérait la nature impétueuse du colonel Féraud. Passant à Magdebourg, pour affaire de service, ce dernier se permit, en dînant mélancoliquement chez le Commandant de Place, de dire de son adversaire : — Cet homme-là n’a jamais aimé l’Empereur ! et cette déclaration fut accueillie dans un profond silence par les autres convives. Troublé dans sa conscience par l’atrocité d’une telle accusation, le colonel Féraud éprouva le besoin de l’étayer d’un argument solide : — Je puis bien le connaître, cria-t-il, en jurant ; on étudie son adversaire. Je l’ai rencontré une demi-douzaine de fois sur le terrain, comme toute l’armée le sait. Que demandez-vous de plus ? Si cela ne suffit pas au dernier des imbéciles pour juger son homme, je veux que le diable m’emporte ! Et il lançait autour de la table un regard têtu et farouche.

Plus tard, à Paris, où il était fort occupé à réorganiser