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yeux à droite et à gauche, sur le lourd brouillard du matin qui couvrait les prairies plates, bordées de haies. Il sauta un fossé et aperçut plusieurs silhouettes de cavaliers dans la brume. — Il paraît que nous allons nous battre en public, murmura-t-il, amèrement.

Ses seconds s’inquiétaient de l’état de l’atmosphère, mais bientôt un pauvre soleil pâle émergea des vapeurs, et d’Hubert distingua dans le lointain trois cavaliers, un peu à l’écart des autres. C’étaient le capitaine Féraud et ses témoins. Il tira son sabre pour s’assurer qu’il était bien fixé à son poignet. Les seconds, qui s’étaient réunis au centre du terrain, en rapprochant les têtes de leurs chevaux, se séparèrent au petit galop, et laissèrent un vaste champ libre entre les deux adversaires. D’Hubert regarda le soleil pâle et les champs tristes, et l’imbécillité de ce nouveau duel le remplit d’une immense désolation. D’un coin éloigné du champ, une voix de stentor lançait des commandements à intervalles réguliers : Au pas... au trot... Charrrgez!... On n’a pas pour rien des pressentiments de mort, se dit d’Hubert, en éperonnant son cheval.

Aussi fut-il plus que surpris lorsque dès le premier choc il vit le capitaine Féraud affligé d’une balafre au front qui l’aveuglait de sang et le mit hors de combat ; le duel se terminait avant même d’être sérieusement entamé. On ne pouvait songer à continuer. Le capitaine d’Hubert laissa sur le terrain son ennemi qui jurait horriblement et vacillait sur sa selle entre ses témoins atterrés. Il sauta à nouveau le fossé et trotta jusqu’à son logis avec ses deux amis qui paraissaient très frappés d’une issue aussi expéditive. Le soir, d’Hubert termina la lettre de félicitations qu’il écrivait à sa sœur pour son mariage.

Il l’acheva à une heure avancée. C’était une longue lettre, et d’Hubert lâcha la bride à sa fantaisie. Il disait qu’il allait se sentir un peu solitaire après un tel changement dans la vie de sa sœur ; mais l’heure viendrait