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ses chefs. Il se savait aussi brave que quiconque, et n’avait jamais douté de son charme personnel. Pourtant ni la bravoure ni le charme ne semblaient agir bien vite. L’exubérance de bon garçon qui valait des amitiés à Féraud, fit place chez lui à une humeur chagrine. Il se mit à accabler d’allusions amères « les malins qui sont capables-de tout pour avancer plus vite ». L’armée en était pleine, disait-il ; il n’y avait qu’à regarder autour de soi. A vrai dire, il ne pensait qu’à un seul homme, à son adversaire, à d’Hubert. Un jour, il déclara à un ami sympathique : — Moi, vois-tu, je ne sais pas faire les courbettes ; ça n’est pas dans mon caractère.

C’est seulement après Austerlitz qu’il fut promu. La cavalerie légère de la Grande Armée eut des semaines de belle besogne sur les bras. Dès que fut un peu calmée la fièvre des opérations militaires, le capitaine Féraud se mit en mesure d’organiser une rencontre sans perdre de temps. — Je connais mon oiseau, fit-il remarquer d’un air sombre ; si je n’ouvre pas l’œil, il s’arrangera pour avancer par-dessus la tête d’une douzaine de camarades. Il a le chic pour ce genre de choses.

Le duel eut lieu en Silésie. S’il ne fut pas poussé à mort, il dura au moins jusqu’à épuisement des deux adversaires. L’arme était le sabre de cavalerie, et l’adresse, la science, la vigueur et la résolution déployées par les deux hommes forcèrent l’admiration des spectateurs. Le duel défraya les conversations sur les deux rives du Danube, jusqu’aux garnisons de Gratz et de Laybach. Il comporta sept reprises. Malgré maintes estafilades d’où le sang coulait abondamment, les deux officiers refusèrent plusieurs fois, et avec une apparence d’effroyable haine, de laisser arrêter le combat. Cette fureur tenait, chez le capitaine d’Hubert, au désir naturel d’en finir, une fois pour toutes, avec cette triste histoire, et chez Féraud à une exaltation extrême de ses instincts