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— Sur mon honneur !

— Très bien ! fit le colonel, en se mordant la lèvre d’un air pensif. Les arguments du lieutenant, joints à son propre penchant pour le jeune homme, l’avaient convaincu. Il retint encore un instant d’Hubert, puis le congédia avec bonté.

— Gardez le lit quelques jours de plus, lieutenant. A quoi diable a pu penser le major, qui vous dit en état de reprendre votre service ?

Au sortir de l’entrevue, d’Hubert ne dit rien à l’ami qui l’attendait pour le ramener chez lui. Il ne dit rien à personne ; le lieutenant n’était pas communicatif. Mais ce soir-là, en se promenant sous les ormes qui poussaient près de son logis, en compagnie de son second, le colonel ouvrit les lèvres :

— Je connais le fin mot de l’histoire, affirma-t-il.

Le lieutenant-colonel, petit bonhomme sec et noir, à favoris courts, dressa l’oreille, sans laisser échapper un signe de curiosité.

— Ce n’est pas une vétille, ajouta le colonel, avec gravité.

L’autre attendit un long moment, avant de murmurer :

— Vraiment, mon colonel ?

— Pas une vétille ! répéta le chef, qui regardait droit devant lui. Mais j’ai interdit à d’Hubert d’envoyer un défi à ce Féraud, ou d’en relever un avant un an.

Il avait trouvé cette échappatoire pour sauvegarder son prestige. Cette interdiction eut pour résultat de donner un sceau officiel au mystère dont s’enveloppait la terrible querelle. D’Hubert opposa un silence glacial à toutes les tentatives faites pour lui arracher la vérité. Féraud, secrètement inquiet d’abord, retrouva peu à peu son assurance. Il dissimulait sous des éclats de rire sardoniques son ignorance des raisons de la trêve imposée, comme s’il avait trouvé un motif de joie dans