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Personne ne discuta la haute probabilité d’une telle assertion qui ajouta encore à l’impressionnant secret de l’affaire. Guidés par leur seule bienveillance et leur désir de bonne harmonie, plusieurs anciens des deux régiments proposèrent de constituer un tribunal d’honneur, auquel les deux jeunes gens s’en remettraient du soin de leur réconciliation. Malheureusement, ils s’adressèrent d’abord à Féraud, qu’ils pensaient devoir trouver apaisé par sa victoire récente, et porté à la modération.

Bien que le raisonnement fût plausible, la tentative fut malheureuse. Grâce à ce relâchement de la tension morale qui suit une satisfaction de vanité, Féraud avait, dans le secret de son cœur, consenti à revenir sur le cas, et était arrivé à douter, sinon de la justice de sa cause., au moins de la sagesse de sa conduite. Il n’en répugnait que mieux à parler de l’affaire. La proposition des anciens le mettait dans une situation délicate. Il en fut agacé, et, par une logique paradoxale, cet agacement réveilla son animosité contre le lieutenant d’Hubert. Allait-il être éternellement poursuivi par cet individu, qui avait un talent infernal pour circonvenir le public ? Il était pourtant difficile de s’opposer tout net à une médiation sanctionnée par le code de l’honneur.

Il se tira de cette difficulté par une attitude de sombre réserve. Il tortillait ses moustaches et proférait des paroles dilatoires. Le cas était parfaitement clair, et il n’aurait pas plus de vergogne à l’exposer devant un Tribunal d’honneur qu’à le défendre sur le terrain. Cependant, il ne voyait pas de raisons de sauter sur la proposition avant de savoir comment son adversaire allait l’accueillir.

Plus tard dans la soirée, il déclara en public, dans un renouveau d’exaspération, « que ce serait la meilleure solution pour le lieutenant d’Hubert, car, à la prochaine rencontre, il ne devait pas compter s’en tirer avec trois pauvres semaines de lit ».