Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/191

Cette page n’a pas encore été corrigée

le voulait avec une intensité de volonté parfaitement étrangère aux facultés inférieures du tigre.

Comme il arrive aux hommes naturellement braves, la claire vision du danger intéressait d’Hubert. Et dès que son intérêt fut nettement éveillé, la longueur de son bras et le calme de sa tête agirent en sa faveur. Ce fut au tour de Féraud de rompre, avec un grognement de rage déconfite. Il fit une feinte rapide et se lança en avant.

— Ah ! c’est comme ça, vraiment ? s’écria d’Hubert, en lui-même. Le combat avait duré près de deux minutes, temps suffisant pour énerver le plus calme des hommes, en dehors même des motifs de la querelle. Et brusquement, tout fut fini. En venant au corps à corps, sous la garde de son adversaire, Féraud reçut une estafilade sur son bras raccourci. Il ne s’en aperçut même pas, mais le coup brisa son élan ; son pied glissa sur le gravier, et il tomba à la renverse avec une extrême violence. Le choc plongea sa cervelle bouillante dans la quiétude d’une parfaite insensibilité ; en le voyant tomber la jeune Alsacienne poussa un grand cri, tandis qu’à la fenêtre, la vieille dame interrompait ses gémissements pour se signer dévotement.

A la vue de son adversaire immobile, le visage levé vers le ciel, le lieutenant d’Hubert crut l’avoir tué net. L’impression d’avoir donné un coup de taille assez violent pour couper son homme en deux, le hanta un instant, avec le souvenir exagéré de toute la vigueur qu’il avait mise dans ce coup. Il se laissa vivement tomber à genoux devant le corps inanimé. Quand il constata que le bras n’était même pas détaché, il éprouva un soulagement mitigé d’un certain désappointement. L’animal méritait davantage. Pourtant, d’Hubert n’avait jamais souhaité la mort de ce pécheur ; l’affaire était déjà bien assez vilaine, et il s’efforça au plus vite d’étancher le sang de la blessure. Sa mauvaise fortune