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D’Hubert siffla doucement. Madame de Lionnel, femme d’un haut fonctionnaire, tenait un salon bien connu, et avait quelques prétentions à la sensibilité et à l’élégance. Le mari était un vieux civil, mais la société du salon était jeune et militaire. Si le lieutenant d’Hu­bert avait sifflé, ce n’était pas parce que l’idée de pour­suivre le lieutenant Féraud dans ce salon lui était désa­gréable, mais parce que, nouvel arrivé à Strasbourg, il n’avait pas encore eu le temps de se faire présenter à madame de Lionnel. Et que pouvait bien faire là ce bretteur de Féraud ? se demandait-il. Ce n ’était pas un homme à...

— Vous êtes certaine de ce que vous avancez ? insista-t-il.

La jeune fille en était tout à fait certaine. Sans se retourner pour le regarder, elle expliqua que le cocher de la maison voisine connaissait le maître d’hôtel de madame de Lionnel. C’est de lui qu’elle tenait ses infor­mations. Et elle était parfaitement certaine. En donnant cette assurance elle poussa un soupir. Le lieutenant Fé­raud allait là-bas, presque chaque après-midi, ajouta-t-elle.

— Ah bah ! s’écria d’Hubert, avec ironie. Son estime pour madame de Lionnel baissait de plusieurs points. Le lieutenant Féraud ne lui semblait pas spécialement digne de l’attention d’une femme douée d’une réputa­tion de sensibilité et d’élégance. Mais comment savoir, avec les femmes ? Au fond elles étaient toutes les mêmes : plus pratiques qu’idéalistes. Cependant le lieu­tenant d’Hubert ne s’arrêta pas à de telles considéra­tions.

— Tonnerre ! s’écria-t-il. Le général va quelquefois dans la maison. S’il trouve ce bonhomme-là en train de faire les yeux doux à la dame, ça fera une histoire de tous les diables. Notre général n'est pas des plus commodes, je vous en réponds.

— Dépêchez-vous alors ! Ne restez pas en plan puisque