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les sourcils de temps à autre. Avec une force irrésistible. Gaspar Ruiz s’était frayé un chemin jusqu’à la fenêtre : sa vaste poitrine exigeait plus d’air que les autres. Sa grosse figure, dont le menton posait sur l’appui de la fenêtre, semblait soutenir tous les visages dressés pour aspirer une bouffée d’air. Des gémissements suppliants, les prisonniers avaient passé aux cris désespérés, et les hurlements de douleur de tous ces hommes fous de soif obligèrent un jeune officier qui traversait la cour à élever la voix pour se faire entendre.

— Pourquoi ne donnez-vous pas d’eau à ces prisonniers ?

Le sergent s’excusa, avec des airs d’innocente surprise, sur ce que ces hommes étaient condamnés à une mort prochaine.

Le lieutenant Santierra frappa du pied : — Ils sont condamnés à mort, et pas à la torture, cria-t-il ; donnez-leur de l’eau, tout de suite !

Émus par cette attitude de colère, les soldats se levèrent, et la sentinelle saisit son fusil, pour se mettre au port d’armes.

Mais lorsqu’on eut trouvé et rempli au puits une couple de baquets, on s’aperçut qu’il était impossible de les faire passer à travers les barreaux trop serrés. A la perspective d’étancher leur soif, les clameurs des prisonniers qui s’écrasaient pour approcher de la fenêtre se firent déchirantes. Et quand les soldats qui avaient levé les seaux vers les barreaux les reposèrent à terre, avec un geste d’impuissance, les cris de désappointement devinrent plus forcenés encore.

Les soldats de l’Indépendance n’étaient pas pourvus de bidons. On dénicha bien une petite tasse de fer, mais son approche de la fenêtre suscita une telle poussée, de tels cris de rage et de douleur dans la masse confuse des visages levés vers l’ouverture que le lieutenant cria vivement — Non ! Il faut ouvrir la porte, sergent !