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— Ah, vous voyez bien ! cria d’Hubert. Et il est reparti ? Pourquoi faire ? Il ne pouvait donc pas rester tranquillement chez lui ? Quel fou ! Ma chère petite…

La bienveillance naturelle au lieutenant d’Hubert et un sentiment très marqué de camaraderie accentuaient ses talents d’observation. Il prit un accent de la plus insinuante douceur, et regardant la culotte de hussard passée sur le bras de la soubrette, fit appel à tout l’intérêt qu’elle pouvait prendre au bonheur et au bien-être du lieutenant Féraud. Il se fit pressant et persuasif. Son désir de rejoindre sans délai le lieutenant Féraud, dans l’intérêt même du jeune homme, paraissait si sincère, qu’il fit céder les scrupules de la jeune fille. Malheureusement elle ne savait pas grand’chose. Rentré un peu avant dix heures, le lieutenant était allé droit à sa chambre, et s’était jeté sur son lit pour reprendre son somme. Elle l’avait entendu ronfler plus fort encore que le matin jusqu’à une heure avancée de l’après-midi. Il s’était alors levé, avait endossé son plus bel uniforme, et était sorti. C’est tout ce qu’elle savait.

Elle leva des yeux que d’Hubert contempla avec incrédulité.

— C’est incroyable ! Parti pour se montrer en ville en uniforme numéro un ! Ma chère enfant, croiriez-vous qu’il a pourfendu son bonhomme ce matin : de part en part, comme un lièvre à la broche !

La jolie servante apprit la lugubre nouvelle sans le moindre signe de détresse. Elle serra les lèvres d’un air pensif.

— Il n’est pas en ville, fit-elle à voix basse ; pas du tout.

— La famille du pékin fait un vacarme affreux, continua le lieutenant d’Hubert qui poursuivait le cours de ses pensées. Et le général est furieux. C’est une des meilleures familles de la ville. Féraud aurait dû rester chez lui, au moins.