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Ce disant, le lieutenant d’Hubert ouvrait, sans cérémonie la porte d’une pièce si nette, si bien tenue, si plaisante, qu’il lui fallut l’évidence des uniformes, bottes et autres accoutrements militaires, pour croire que ce fût bien la chambre du lieutenant Féraud. Il se convainquit du même coup que Féraud n’était pas chez lui. La fidèle servante l’avait suivi dans la pièce, et levait vers lui des yeux candides.

— Hum ! fit le lieutenant d’Hubert. Il était fort désappointé, car il venait de passer successivement dans tous les endroits où l’on a chance de trouver un lieutenant de hussards par un bel après-midi. Alors il est sorti ? Sauriez-vous par hasard, ma belle, où il a pu aller à six heures du matin ?

— Non, répondit-elle promptement. Il est rentré tard la nuit dernière, et s’est mis bientôt à ronfler. Je l’ai entendu en me levant à cinq heures. Il a mis son plus vieil uniforme pour sortir. Affaire de service, je suppose.

— De service ! Pas le moins du monde ! s’écria le lieutenant d’Hubert. Sachez mon ange, que s’il est sorti si tôt, c’était pour aller se battre en duel avec un civil.

La jeune fille accueillit cette nouvelle sans un tressaillement : ses longs cils sombres ne battirent même pas. Manifestement, les gestes du lieutenant Féraud étaient pour elle au-dessus de toute critique. Elle se contenta de lever un instant les yeux avec une muette expression de surprise, et cette absence d’émotion fit conclure au lieutenant d’Hubert qu’elle avait dû revoir Féraud depuis le matin. Il jeta les yeux tout autour de la pièce.

— Voyons ! insista-t —il avec une familiarité confiante. Il est peut-être quelque part dans la maison ?

Elle fit un geste de dénégation.

— Tant pis pour lui ! continua d’Hubert, avec un accent de conviction inquiète. Il est bien rentré dans la matinée ?

— Cette fois, la jolie fille hocha légèrement la tête.