Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Féraud était officier de troupe, tandis que le lieutenant d’Hubert avait la bonne fortune d’être attaché en qualité d’officier d’ordonnance à la personne du général commandant la division. On était à Strasbourg, et dans cette agréable et grosse garnison, ces messieurs goûtaient fort un court moment de paix. A vrai dire, s’ils en jouissaient malgré leurs natures essentiellement guerrières, c’est parce que c’était une de ces paix qui affûtent les épées et fourbissent les fusils, une de ces paix chères aux cœurs de soldats, qui laissent intact le prestige militaire, parce que personne ne croit à leur solidité ou à leur durée.

Dans des circonstances historiques si propices à l’appréciation d’un repos bien gagné, le lieutenant d’Hubert suivait, un bel après-midi, une rue paisible de faubourg ensoleillé. Il gagnait le logis du lieutenant Féraud, qui habitait, chez une vieille demoiselle, une maison particulière, flanquée d’un jardin.

Une jeune servante en costume d’Alsacienne répondit sans tarder à son coup de sonnette. Son teint frais et de longs cils modestement baissés à la vue du bel officier, incitèrent le lieutenant d’Hubert, qui était accessible aux sensations esthétiques, à tempérer la froide et sévère gravité de son visage. Il remarquait en même temps que la jolie fille portait sur son bras une culotte de hussard : bleue à bande rouge.

— Le lieutenant Féraud est-il là ? demanda-t-il, d’un ton aimable.

— Oh, non, monsieur ! Il est parti à six heures du matin.

La jolie servante s’efforçait de fermer la porte. Le lieutenant d’Hubert, s’opposant à cette tentative avec une douce fermeté, pénétra dans le vestibule et fit sonner ses éperons.

— Voyons, petite ! Vous n’allez pas me faire croire qu’il ne soit pas rentré depuis six heures du matin !