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sa stupide femme à langue de vipère attrapa Charley comme s’il avait dit une inconvenance. J’en étais confondu, et quant à Maggie, parfaitement mystifiée, elle ouvrait tout grands ses yeux bleus. Naturellement, le lendemain, elle me tira les vers du nez ; c’était une petite personne à qui il n’était pas facile de mentir.

— « Quelle horreur ! » fit-elle d’un ton grave. « Tous ces pauvres gens ! Je suis heureuse que le voyage tire à sa fin. Je ne vais plus avoir un instant de tranquillité sur le compte de Charley, maintenant ! »

Je lui affirmai qu’elle n’avait rien à craindre de ce côté. Il aurait fallu plus de malice encore que ce bateau-là n’en avait, pour trouver en défaut un marin comme Charley. Et elle en convint avec moi.

Le lendemain, le remorqueur nous prenait à Dungeness ; quand l’aussière fut fixée, Charley se frotta les mains et me dit à mi-voix :

— « Nous l’avons eue, cette fois, Neddy ! »

— « On le dirait, » répondis-je en riant. Il faisait un temps superbe et la mer était unie comme une mare. Nous remontâmes la rivière sans l’ombre d’un accroc, sauf au moment où, en face de Hole Haven, la brute fit une brusque embardée et faillit éventrer un chaland ancré à côté du chenal. Mais je me tenais à l’arrière, l’œil à la barre, et elle ne me prit pas en défaut. Charley monta sur la dunette, l’air soucieux : — « Nous l’avons échappée belle ! » fit-il.

— « Pas de danger, Charley », répondis-je gaiement, « tu l’as matée. »

Nous devions remonter droit au bassin. Le pilote de la Tamise nous accosta au-dessous de Gravesend, et les premiers mots que je lui entendis prononcer furent : — « Vous feriez bien de rentrer tout de suite votre ancre de bâbord, Monsieur ».

On avait exécuté la manœuvre quand je passai à l’avant. J’y trouvai Maggie qui s’amusait du mouvement