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depuis trois semaines, il ne s’était pas montré à la maison. Il passait ses jours de liberté dans un coin du Surrey, où il faisait la cour à Maggie Colchester, la nièce du vieux Colchester. Le père de la jeune fille, vieil ami de notre propre paternel, travaillait dans les sucres, et Charley avait trouvé dans sa maison un second foyer. Je me demandai ce que mon grand frère allait penser de moi. Il y avait sur son visage une sorte de sévérité qui ne le quittait jamais, même au cours d’équipées un peu folles.

Il m’accueillit avec un grand éclat de rire. L’idée de m’avoir comme camarade semblait lui faire l’effet, de la plus belle des plaisanteries. Il y avait dix ans de différence entre nous, et sans doute me voyait-il encore en tablier. J’avais quatre ans à peine quand il était parti en mer pour la première fois. Je fus surpris de son exubérance.

— « Maintenant, nous allons voir ce que tu as dans le « ventre », cria-t-il. Et me prenant par les épaules, il m’allongea des bourrades dans les côtes, en me poussant sur sa couchette. « Assieds-toi, Ned. Je suis heureux de t’avoir sous mes ordres. Je te donnerai le dernier coup de fion, mon jeune officier, si tu vaux la peine qu’on s’occupe de toi. Et, pour commencer, mets-toi bien dans la tête que nous n’allons pas laisser, cette fois-ci, la brute tuer personne. Nous lui riverons son clou. »

Je vis que cette pensée lui tenait à cœur. Il avait un air grave pour parler du navire, et me dit qu’il faudrait veiller à ne pas nous laisser prendre sans vert par cette sale brute et ses maudites fantaisies.

Il me fit tout un cours de manœuvre, à l’usage spécial de la Famille Apse ; après quoi, changeant de ton, il se mit à bavarder à tort et à travers, et à conter des histoires absurdes et si drôles que les côtes me faisaient mal de rire. Je sentais bien que sa gaîté était un peu inhabituelle, et ne pouvais l’attribuer tout à fait à ma