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M. Cloete, je voudrais tant que George pût faire en sorte d’améliorer notre avenir. Notre situation est vraiment si médiocre… » Et Cloete sourit mais ne s’étonne pas, parce qu’il a fourré lui-même toutes ces idées dans cette petite tête sans cervelle… « Ce dont votre mari a besoin, c’est d’esprit d’entreprise, d’un peu d’audace. Vous devriez l’encourager davantage, Mme Dunbar… » C’était une extravagante et sotte petite personne. Elle avait poussé George à prendre une maison à Norwood. Ils dépensent bien plus que des gens qui sont dans une situation supérieure à la leur. Je l’ai vue une fois ; robe de soie, jolies bottines, plumes et parfums, un visage rose : mieux pour le promenoir de l’Alhambra que pour un foyer honnête, il m’a semblé. Mais il y a des femmes qui vous mettent diablement la main sur un homme.

— Oui, certes, répondis-je, même quand l’homme est le mari.

Ma femme, me déclara-t-il alors d’un ton solennel, et bizarrement grave, aurait pu m’enrouler autour de son petit doigt. Je ne m’en suis aperçu que lorsqu’elle n’a plus été là. Hélas ! Mais c’était une femme de bon sens, tandis que ce gibier-là aurait pu faire le trottoir, et c’est tout ce que je puis dire… Vous vous la représentez vous-même, dans votre tête ; vous devez connaître le genre.

— Soyez tranquille, lui dis-je.

— Hum, grommela-t-il d’un air de doute, puis, reprenant son intonation dédaigneuse : Un mois plus tard, environ, le Sagamore rentre de sa campagne. Tout va gaiement pour commencer… « Eh bien, mon vieux George. » « Ah ! Harry, mon vieux… » Mais voilà que le capitaine Harry trouve que son débrouillard de frère n’a pas l’air très en train. George a l’air de moins en moins bien. Il ne peut se débarrasser de l’idée de Cloete. Cela ne lui démord pas de la tête… « Rien de fâcheux ? tout va bien ?» Le capitaine Harry toujours anxieux. « Les affaires marchent. Tout à fait bien. Beaucoup d’affaires et de bonnes… » Naturellement le capitaine Harry le croit aisément. Et il se met à taquiner son frère gentiment, comme toujours, sur le fait de rouler sur l’or. George sent sa chemise lui coller au dos, et une colère lui vient contre le capitaine. « Imbécile, se dit-il. Rouler sur l’or, ma foi oui. » Et il se dit, tout d’un coup : « Pourquoi pas ?… » Parce que l’idée de Cloete lui a mis le grappin sur l’esprit.

Quelques jours plus tard, il faiblit, et dit à Cloete : « Cela vaudrait peut-être mieux de vendre. Est-ce qu’on ne pourrait pas en dire un mot à mon frère ? » Et Cloete lui explique encore pour la vingtième fois pourquoi cela ne servirait à rien de vendre, en tout cas. Non. Le