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NOTICE

Le Ville-Hardouin de Du Gange, amélioré par dom Brial, dérive donc d’un manuscrit du quatorzième siècle, copié en Italie et probablement à Venise. Le principal défaut de ce manuscrit, c’est qu’on y remarque un grand nombre d’omissions et plusieurs mauvaises leçons, dues à l’inadvertance du copiste ou à l’imperfection du manuscrit plus ancien qu’il avait sous les yeux. Toutes ces lacunes et toutes ces fautes, qui se retrouvent dans les trois premières éditions, fournissent autant de preuves évidentes de leur unité d’origine. Dom Brial a constaté, à l’aide des manuscrits B et C, plusieurs de ces imperfections, dont la plupart n’avaient pu être soupçonnées par Du Gange ; mais le nouvel éditeur s’est presque toujours astreint à signaler seulement dans les notes ce qui manquait au texte primitif. Il était convaincu en effet que le manuscrit A, malgré tous ses défauts, valait mieux que les autres, et il aurait craint de ne pas le respecter assez en voulant trop l’améliorer.

Cette supériorité du manuscrit A, que dom Brial appréciait d’une manière générale sans avoir pu la vérifier par le détail, doit être attribuée, non à l’habileté, mais à la sincérité du copiste. Il a omis des mots par étourderie, sans jamais se permettre aucun retranchement volontaire ; il en a estropié qu’il lisait mal ou qu’il ne comprenait pas, sans essayer de les remplacer par des expressions qui lui fussent plus familières ; il a méconnu de temps en temps les règles de l’orthographe française, sans y substituer systématiquement celles de l’orthographe italienne. Tel est le jugement que je crois pouvoir porter sur ce manuscrit, que j’ai lu et relu, en le comparant aux autres, avec toute l’attention dont je suis capable, et en relevant, à l’appui de ce jugement, toutes les preuves nécessaires pour le justifier.

Le copiste du manuscrit B manquait certainement de cette sincérité qui donne tant de prix au manuscrit A. On peut lui reprocher d’avoir habituellement abrégé les phrases, remplacé par des synonymes certaines expressions du texte original, et modifié l’orthographe en la conformant aux usages de son temps et de son pays 1[1]. Il faut reconnaître néanmoins qu’il ne manquait ni de mesure ni d’intelligence, et que le texte de Ville-Hardouin, ainsi écourté et rajeuni, conserve encore bien des traits de sa véritable physionomie. Plus heureux que Buchon, qui déclare n’en avoir tiré aucun fruit pour son édition, j’ai pu m’en servir quelquefois pour améliorer la mienne. Je me suis convaincu, en résumé, que le ma-

  1. 1 Son travail me paraît avoir été exécuté vers le commencement du quatorzième siècle, et plutôt dans l’Ile-de-France qu’ailleurs.