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ordinaire à toutes les personnes qui sont privées d’un des cinq sens d’avoir les autres meilleurs et plus subtils, parce que les esprits qui agissent en eux, pour leur faire reconnoître ce qu’ils cherchent, se meuvent avec plus de force étant occupés en moins de différents endroits ; ainsi ceux qui ont perdu la vue entendent ordinairement fort clair et distinguent assez bien ce qu’ils touchent. C’est ce que M. Poussin a voulu exprimer dans ce dernier aveugle, et en quoi il a merveilleusement réussi. Car l’on remarque dans son visage et dans ses bras qu’il est entièrement appliqué à écouter la voix du Sauveur, et à le chercher. Cette application de l’ouïe paroît dans son front qui est fort uni, et dont la peau et toutes les parties se retirent en haut : elle se connoît encore par une suspension de tous les mouvements du visage qui demeurent dans un même état pour donner le temps à l’oreille de mieux entendre, et pour ne pas troubler son attention.

Comme il est naturel aux vieilles gens d’être défiants et incrédules, le peintre a représenté un vieillard qui s’approche de fort près pour regarder la guérison de l’aveugle. Il ne doute pas du véritable aveuglement de ces pauvres gens qui sont connus dans le pays, mais il doute de la puissance du médecin, ne pouvant se persuader qu’un homme puisse redonner la vue par le seul attouchement de ses mains. C’est pourquoi il prend garde s’il n’emploie point subtilement quelque remède ; et la curiosité se joignant à la défiance, il tâche de découvrir de quelle sorte leurs paupières s’ouvriront. Pour cela il est si attentif à regarder que ses yeux en paroissent d’une grandeur extraordinaire ; ses sourcils sont enflés ; son front est plein de rides, parce que tous les esprits étant portés vers la partie qui travaille sont cause que tous les muscles s’enflent davantage vers ce lieu-là.

Cet homme, vêtu de rouge et coiffé d’une espèce de turban, ne s’arrête pas à regarder l’aveugle ; mais il considère Jésus-Christ, et l’action qu’il lui voit faire étant une action tout extraordinaire, il paroît étonné, et dans l’admiration. Il admire en homme d’esprit qui médite sur ce qu’il voit : il a les yeux attachés sur le visage du Sauveur, comme pour y découvrir d’où peut venir cette vertu qui lui donne de si grands avantages.