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terrasses. Et, bien que toutes les couleurs qu’il a employées soient fort vives, elles sont si bien disposées qu’il y a entre elles un accord merveilleux, ayant répandu sur toutes une teinte universelle de la lumière dont l’air est éclairé, laquelle leur donne cette union et cette grâce qui les rend si agréables et si douces à la vue.

Comme M. Bourdon eut cessé de parler, une personne de la compagnie dit que l’on ne pouvoit pas nier que toutes les beautés qu’il venoit de remarquer dans ce tableau n’y fussent en effet : mais néanmoins que M. Poussin ayant entrepris de traiter un sujet aussi considérable que celui de la guérison des aveugles, auxquels Jésus-Christ donna la vueauprès de Jéricho, il lui sembloit ne l’avoir pas exprimé avec toute la grandeur et toutes les circonstances qui doivent l’accompagner. Puisque ce miracle s’étant fait en présence d’une infinité de peuple qui suivoit Jésus-Christ, il n’a peint que trois apôtres, les deux aveugles, quatre autres figures et une femme qui même n’est pas trop appliquée à ce qui se passe et dont l’action paroît trop indifférente pour une occasion où elle devroit être dans une admiration et une surprise extraordinaires. Qu’un si petit nombre de figures ne remplit pas la composition de son ouvrage autant que le sujet l’oblige, ce qui est néanmoins tout à fait essentiel et nécessaire pour faire connoître que ces deux aveugles sont ceux qui furent guéris au sortir de Jéricho.

Une autre personne repartit à cela que, pour ce qui regarde la figure de la femme, il est vrai que M. Poussin pouvoit lui donner quelque expression plus forte, quoiqu’on puisse dire qu’étant éloignée, elle ne voit pas bien ce qui se passe.

Mais quant à un plus grand nombre de figures que celles qui sont dans cet ouvrage, c’est à quoi il n’étoit point obligé, parce qu’il a pu supposer que la multitude des gens qui suivent Jésus-Christ n’est pas autour de lui, et qu’étant éloignée de quelques pas, elle est cachée des bâtiments. Qu’il y en a assez pour être témoins de cette action, puisque par cette figure vêtue de rouge qui paroît surprise, le peintre a représenté l’étonnement du peuple juif, et par celui qui regarde de si près, il figure le désir que cette nation avoit de voir faire des miracles.